1. Le 16 novembre 1978, Le Matin de Paris publie un article consacré à Faurisson, reprenant les propos négationnistes d’une lettre dont ce dernier avait arrosé les rédactions de France et de Navarre (tout en multipliant les erreurs concernant Faurisson), «Les chambres à gaz, ça n’existe pas!». Libération citait aussi longuement Faurisson le surlendemain («L’enseignement de l’antisémitisme», 18-19 novembre 1978, p. 3). Le 21 novembre, Libération cite de nouveau Faurisson («Les cours de Robert Faurisson,le prof antisémite provisoirement suspendus», p. 5). Libération donnerait ensuite plusieurs fois longuement la parole à Pierre Guillaume alors en plein processus d’engagement pro-négationniste. Le 16 décembre 1978, Le Monde publie une première «Lettre de M. Faurisson» (p. 12), laquelle prépare de façon évidente la publication qui suivra: le 29 décembre 1978, Le Monde publie un texte de Faurisson intitulé «“Le problème des chambres à gaz” ou “la rumeur d’Auschwitz”» (p. 8), sur une page présentant un «Dossier. Les chambres à gaz» qui met sur le même plan que les mensonges de Faurisson un article en réponse de l’historien Georges Wellers, «Abondance de preuves», installant ainsi la légitimité de la «controverse», même si (mais aussi pour cela) l’article de Georges Wellers était une parfaite réponse et réfutation d’historien. Elle fut complétée le lendemain, dans l’édition du 30 décembre 1978, par un long article d’une autre historienne, Olga Wormser-Migot, sur «La solution finale» (p. 8) présenté comme partie intégrande du «Dossier. Les chambres à gaz». Cela n’empêche pas Le Monde de publier une nouvelle (et longue) «Lettre de M. Faurisson» dans son édition 16 janvier 1979 (p. 13) qui déploie de nouveau le discours négationniste de Faurisson, lequel aura de nouveau droit à publier un «droit de réponse» dans Le Monde du 29 mars 1979 (p. 15). Le Monde laissera passer des publicités pour les ouvrages du guru posthume du négationnisme, l’imposteur Paul Rassinier (édition du 14 décembre 1979) réédité par les soutiens d’extrême-gauche de Faurisson de la Vieille Taupe ou le gros livre négationniste de Serge Thion, par la Vieille Taupe également (éditions des 20, 21 et 24 juin 1980), puis de nouveau en 1985 un ouvrage négationniste de Rassinier (3 avril 1985) et en 1986, pour une publicité de trois ouvrages négationnistes, l’un de Rassinier, un autre de Pierre Guillaume de la Vieille Taupe, un troisième du militant nazi et négationniste allemand Wilhelm Stäglich (édition du 4 juin 1986) auquel la perversion négationniste mêle un ouvrage sur l’antisémitisme de Bernard Lazarre (sur l’instrumentalisation antisémite de cet ouvrage, voir Philippe Oriol, «L’Antisémitisme, son histoire et ses causes de Bernard Lazare», in Dominique Schnapper, Paul Salmona et Perrine Simon‐Nahum (dir.), Paris: Odile Jacob, 2016). 2. Philippe Ganier-Raymond, «“A Auschwitz, on a gazé que les poux”. Une Interview de Darquier de Pellepoix, ex-commissaire aux Questions juives du gouvernement de Vichy», L’Express, 28 octobre-4 novembre 1978, p. 165-199, p. 173 pour le passage «Je vais vous dire, moi, ce qui s’est exactement passé à Auschwitz. On a gazé. Oui, c’est vrai. Mais on a gazé les poux», formulation presque ambigüe (les antisémites ne se privant pas de considérer les Juifs comme des poux…) que d’autres propos de l’interview éclairent quant à leur teneur négationniste, comme est éclairée la dimension antisémite du discours de Darquier («Mais, que voulez-vous, ils sont comme ça, les Juifs. Il faut toujours qu’ils mentent», ibid.). 3. Ariane Chemin, «Le jour où Le Monde a publié la tribune de Robert Faurisson», Le Monde, mardi 21 août 2012, p. 12-13, en ligne… 4. Jacqueline Piatier, «Lautréamont en Sorbonne. Maldoror entre M. Prudhomme et M. Fenouillard», Le Monde, 23 juin 1972, p. 13, 15. 5. Lettre de Jacqueline Piatier à Robert Faurisson du 17 juillet 1977, rédigée sur papier à en-tête du Monde, texte reproduit par Faurisson le 27 août 2012 sur son blog sur une page intitulée «Quand Jacqueline Piatier écrivait à Robert Faurisson au sujet des prétendues “chambres à gaz nazies”», fac-similés de la lettre fournis par l’ancien collaborateur de Faurisson, Paul-Eric Blanrue, au site du vociférateur antisémite Alain Soral, Egalité & Réconciliation, qui les a mis en ligne le 30 août 2012 sur une page intitulée «La fondatrice du "Monde des livres", Jacqueline Piatier, a soutenu en privé le professeur Faurisson». 6. Serge Thion, «Robbe-Grillet, les fillettes et les chambres à gaz», Conseils de révision. Le drapeau noir flotte sur la Palestine, Actualités de mars 2001, mars 2001, site web AAARGH (Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d’Holocauste), copie en possession de l’auteur (et archivée sur archive.org). 7. Georges Wellers, «Abondance de preuves», Le Monde, 29 décembre 1978, p. 12; Olga Wormser-Migot, «La solution finale», Le Monde, 30 décembre 1978 (p. 8). Georges Wellers complètera par une lettre publiée par le Monde le 21 février 1979, accompagnant la déclaration des historiens, «Un roman inspiré», répondant à de récents propos des négationnistes faisant l’apologie de l’imposteur négationniste Paul Rassinier et tentant de disqualifier le récit du SS Johann Paul Kremer. La lettre de Georges Wellers est lisibible sur notre scan de la déclaration des historiens sur la présente page. Le «Journal de Kremer» représente une telle preuve des assassinats de masse à Auschwitz, contemporaine, de l‘événement que Faurisson dépensera beaucoup d’énergie à en offrir une lecture complètement falsifiée (et évidemment totalement isolée des nombreuses autres traces de toutes natures du meurtre de masse par gazages à Auschwitz). L’historien Maxime Steinberg proposerait en 1990 une analyse magistrale tant du «Journal de Kremer» que des falsifications qu’en avaient élaborées Faurisson, et évidemment la réfutation impitoyable de celles-ci, offrant au passage une magistrale leçon de méthode historique, dans son ouvrage Les yeux du témoin et le regard du borgne. L’Histoire face au révisionnisme, Paris: Les Éditions du Cerf, 1990, en ligne sur PHDN… La déclaration des historiens du 21 février 1979 est complétée par le remarquable article de l’historien François Delpech, «La vérité sur la “solution finale”», Le Monde, 8 mars 1979, p. 31. François Delpech développera cette synthèse dans une longue étude publiée la même année, «La persécution nazie et l’attitude de Vichy», Historiens et Géographes, no. 273, mai-juin 1979, en ligne… 8. Entretien avec Robert Faurisson, Vichy, le 9 avril 1996, cité dans Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Paris: Editions du Seuil, 2000, p. 240. 9. [Note de PHDN] Gerstein a commis des erreurs sur les chiffres, extrêmement banales dans tout témoignage. Tous les historiens, tous les policiers, juges et avocats savent que les distances, les quantités, les nombres font très souvent l’objet d’erreurs dans les récits de témoins, erreurs qui ne remettent nullement en cause ni la sincérité, ni la fiabilité générale de leur témoignages et surtout pas la nature des événements relatés. Les négationnistes se sont évidemment jetés sur ces chiffres pour rejeter en bloc tout le récit de Kurt Gerstein, une abberation du point de vue de la méthode historique. Sur les chiffres de Gerstein, Pierre Vidal-Naquet et Léon Poliakov précisent dans Le Monde du 8 mars 1979 «Cela signifie tout simplement que Gerstein s’est trompé soit sur les dimensions de la pièce, soit sur le nombre des victimes. Cette erreur s’explique aisément: la précision en matière de chiffres n’était pas la qualité prédominante de Gerstein, et il avait vécu dramatiquement sa visite à Belzec. Reste ce qui est précisément l’essentiel. Kurt Gerstein, lieutenant SS, ingénieur chimiste chargé par les autorités SS des problèmes de la désinfection, a-t-il, oui ou non, assisté, le 20 août 1942, à l’arrivée d’un train de déportés juifs à Belzec et a-t-il été le témoin de l’extermination à l’oxyde de carbone de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants? La réponse est: oui, sans le moindre doute. Kurt Gerstein, dans son rapport rédigé le 26 avril 1945, avait signalé qu’il avait été accompagné par le professeur Wilhelm Pfannenstiel, de l’université de Marburg. Or celui-ci, déposant à Darmstadt le 6 juin 1950, tout en contestant certains détails du récit de Gerstein, qu’il s’agisse des chiffres avancés par celui-ci ou du rôle et des propos qui lui étaient prêtés, n’en déclara pas moins:Après avoir coupé les cheveux aux femmes, on conduisit tout le chargement dans un bâtiment de six chambres. À ma connaissance, quatre seulement furent utilisées. On enferma ces hommes dans les chambres où furent introduits les gaz d’échappement d’un moteur”. […] Par ailleurs, Gerstein, immédiatement après sa visite à Belzec et à Treblinka, s'était confié à un diplomate suédois, le baron von Otter, qui fit rapport à son gouvernement.» (Léon Poliakov et Pierre Vidal-Naquet, «À propos du témoignage sur Kurt Gerstein», Le Monde, 8 mars 1979). Voir également note suivante. 10. Le cas et les récits de Kurt Gerstein ont fait l’objet d’une abondante littérature, dont l’article de Pierre Vidal-Naquet et Léon Poliakov cité dans la note précédente fournissait deux exemples: Saül Friedländer, Kurt Gerstein ou l'ambiguïté du bien. Paris, Casterman, 1967; L. Poliakov et J. Wulf, Le IIIe Reich et les juifs, Paris, Gallimard, 1959 (citant un des récits de Gerstein au pages 122-124). On peut également mentionner: Léon Poliakov, «Le dossier Kurt Gerstein», Le Monde juif, no 1 (36), janvier-mars 1964, reproduit dans la Revue d’Histoire de la Shoah, 2012/1 (no 196), en ligne…; Léon Poliakov, «Nouveaux documents sur Kurt Gerstein», Le Monde juif, 1964/2 (no 37), en ligne…; «Les chambres à gaz et le témoignage Gerstein», Le Monde juif, 1977/2 (no 86), en ligne…; Georges Wellers, «Encore sur le “Témoignage Gerstein”», Le Monde juif, 1980/1 (no 97), en ligne…; des témoignages de Nieu Wenhuizen, du Baron von Otter et de Henk de Vos, auxquels Gerstein avait confié, pendant la guerre, son expérience des assassinats par gazages, ont été recueillis à l’occasion d’un procès contre Faurisson et reproduits dans «Des témoignages essentiels dans une affaire jugée», Le Monde juif, 1986/2 (no 122), en ligne…; Florent Brayard, «Un rapport précoce de Kurt Gerstein», Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 6 | 2000, en ligne…; Florent Brayard, «L’humanité versus Zyklon B. L'ambiguïté du choix de Kurt Gerstein», Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2002/1 (no 93), en ligne…; Valerie Hébert, «Disguised Resistance? The Story of Kurt Gerstein», Holocaust and Genocide Studies, vol. 20 n. 1, spring 2006; Florent Brayard, «Au risque du mal. La résistance de Kurt Gerstein», in, André Loez & Nicolas Mariot (éds.), Obéir, désobéir, La Découverte, 2008; on mentionnera un des rapports de Kurt Gerstein, daté du 4 mai 1945, en ligne dans sa version en allemand;

La déclaration des historiens de 1979 et la malhonnêteté négationniste

Par Gilles Karmasyn


  1. Introduction: le Monde publie Faurisson
  2. Contexte: la déclaration des historiens
  3. La «lecture» et les dénonciations négationnistes
  4. La réfutation proposée dans l’ouvrage de l’historienne Stéphanie Courouble-Share
  5. Scan de la déclaration des historiens parue dans le Monde du 1er février 1979
  6. Transcription de la déclaration des historiens
  7. Quelques remarques historiographiques sur la déclaration des historiens
  8. Influence de la déclaration sur les négationnistes
  9. En résumé (pour résumer ou lire directement la substantifique moëlle…)

1. Introduction: le Monde publie Faurisson

Fin 1978 et début 1979 plusieurs grands quotidiens offrent des «tribunes» et des «droits de réponse», ou des articles faisant la part belle à son discours, au négationniste Robert Faurisson1. Il s’agissait de la suite du scandale suscité par l’ancien collaborateur réfugié en Espagne, Louis Darquier dit «de Pellepoix» qui avait déclaré dans une interview à L’Express qu’à Auschwitz, «on n’avait gazé [que] les poux»2 (Himmler qualifiait les Juifs de poux à éliminer…). Ce fut le point de départ de l’exposition des mensonges négationnistes dans l’espace public.

Parmi les quotidiens qui offrent leurs colonnes à Faurisson, Le Monde le publie fin 1978. En 2012, la journaliste Ariane Chemin écrit pour le même journal un long article qui tente de comprendre ce faux-pas3, sans y parvenir tout à fait selon nous. Il y manque sans doute des éléments qu’il conviendrait d’approfondir: Jacqueline Piatier, à la tête du Monde des Livres de 1967 à 1983, qui fut enthousiasmée par la thèse, ou plutôt la soutenance de thèse, de Faurisson sur Lautréamont, au point de choisir d’en rendre compte en première page du Monde des Livres en 19724, entretenait une correspondance avec Faurisson. En 1977 elle répondait en privé à Faurisson qui lui avait transmis ses «conclusions» sur les chambres à gaz (courrier rendu public en 2012 par Faurisson) qu’elle ne peut ouvrir «une telle polémique» dans le Monde des Livres, mais précise également: «Je connaissais déjà votre thèse sur les Chambres à gaz. Elle est virulente. Il se peut qu’elle soit vraie et aille un jour rejoindre au pays des légendes ces histoires d’enfants aux mains coupées par les Allemands qui couraient après la guerre de 14 […] Mais je garde votre note. Un jour ou l’autre, peut-être, j’y aurai recours. C’est un fameux lièvre que vous levez»5. En 2001, le négationniste Serge Thion assurait déjà sur un site web négationniste que Jacqueline Piatier l’«avait quelques fois assuré de sa discrète compréhension»6. L’histoire de l’ouverture des colonnes du Monde à Faurisson reste donc à faire.

2. Contexte: la déclaration des historiens

Toutefois, Le Monde avait pris soin de donner la parole à des historiennes et des historiens face à la prose perverse et mensongère de Faurisson7. Cela servait évidemment le dispositif de ce dernier puisqu’il en était ainsi encore plus légitimé et se souciait peu de répondre réellement aux rigoureuses démonstrations qui lui étaient opposées. Le piège installé par le principe même de la publication de Faurisson était implacable. Parmi les publications de qualité qui paraissent dans Le Monde pendant cette période figure une longue déclaration très étayée intitulée «La politique nazie d’extermination: une déclaration d’historiens» parue dans le numéro du 21 février 1979. Ce long texte signé des plus prestigieux représentants des écoles historiques françaises venus de tous horizons politiques offre une synthèse précise de la réalité de l’extermination des Juifs (du moins dans l’état des connaissances d’alors, mais on peut admirer aujourd’hui l’acuité de cette photographie) et occupe la moitié d’une grande page du Monde sur six colonnes. Cette déclaration proposait en outre — c’est important — une «courte bibliographie qui permet à tout lecteur honnête de se faire une idée juste de ce que fut l’extermination nazie». Nous invitons les lectrices et lecteurs à en prendre connaissance avant de poursuivre.

Malheureusement, le texte se clôt sur une formule malheureuse (et c’est bien sur la forme et non sur le fonds qu’elle l’est ainsi qu’on va le voir) que nous citons cependant dans son paragraphe en entier:

«Chacun est libre de se référer à tel ou tel type d’explication, chacun est libre, à la limite, d’imaginer ou de rêver que ces faits monstrueux n’ont pas eu lieu. Ils ont malheureusement eu lieu et personne ne peut en nier l’existence sans outrager la vérité. Il ne faut pas se demander comment techniquement un tel meurtre de masse a été possible. Il a été possible techniquement puisqu’il a eu lieu. Tel est le point de départ obligé de toute enquête sur ce sujet. Cette vérité, il nous appartient de la rappeler simplement, il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de débat sur l’existence des chambres à gaz.»

La partie évidemment maladroite, qui va être exploitée par les négationnistes de façon parfaitement perverse et malhonnête est évidemment celle qui commence par (et ce sera souvent cette seule phrase qui sera citée, ou, dans le meilleur de cas, cette phrase jusqu’à la fin du paragraphe, mais toujours isolée du reste de la déclaration, systématiquement passée sous silence): «Il ne faut pas se demander comment techniquement un tel meurtre de masse a été possible».

3. La «lecture» et les dénonciations négationnistes

Au cœur de la maladresse et de son exploitation par les négationnistes se trouve ce «il ne faut pas». Le passage, moins de 1 % de toute la déclaration, toujours cité de façon isolée (s’abstraire, par le silence, des 99 % restant constituant la seule façon de le présenter aussi malhonnêtement) sera dénoncé le plus souvent sur un mode seulement ironique et/ou scandalisé, laissant au lecteur (qui n’aura pas pu lire ce qui précède et accompagne cette phrase) le soin de déterminer la nature du scandale (c’est le cas des auteurs «de gauche» du texte négationniste de juin 1979 «De l’exploitation dans les camps à l’exploitation des camps», La Guerre Sociale, no 3, juin 1979, p. 26) ou de Faurisson (dont on épargnera au lecteur la liste des publications où il use de cette ironie), mais tous les négationnistes utiliseront ce passage ad nauseam, quasi systématiquement sans la déclaration qui l’éclaire.

On comprend fort bien la nature de la maladresse (dans son contexte) et celle de la dénonciation des négationnistes: il s’agirait, émise qui plus est par des historiens, d’une interdiction stricte de poser une question, de chercher à savoir, bref de la formulation d’un tabou, ce qui fait dire à Faurisson (et à d’autres négationnistes) qu’il s’agirait d’un aveu d’impuissance, d’un aveu tout court de la part des historiens, et d’une «victoire» (une victoire personnelle d’après Faurisson qui déclarait avoir «gagné» dans un entretien avec Valérie Igounet en 19968).

Depuis 1979, ce passage est brandi par les négationnistes comme la preuve qu’il y aurait un tabou et une incapacité radicale à étayer la réalité historiques des chambres à gaz (et partant du génocide tout entier puisque le discours négationniste, centré sur un des moyens emblématiques de l’extermination, vise à nier le tout en niant sa partie). Il n’est évidemment jamais cité dans le contexte de toute la déclaration, dispositif qui incluait une bibliographie dont la présence (toujours tue par le négationnistes) et la nature garantissait la rigueur et la solidité du propos des historiens, qui faisait d’ailleurs suite à d’autres articles d’historiens déjà cités (mais jamais mentionné dans ce contexte par les négationnistes). Passer sous silence tout ce dispositif fait partie de la mauvaise foi négationniste.

Aujourd’hui, lorsque ce passage est invoqué, son caractère négationniste est le plus souvent allusif, sur le mode du clin d’œil-on-se-comprend, parfaitement adapté au laconisme des réseaux sociaux où sévissent des centaines de sympathisants négationnistes qui diffusent un discours qu’il comprenne d’ailleurs à peine: les «mèmes» négationnistes sont devenus pour ces militants antisémites un code culturel qui passe par l’allusion, l’insinuation qui permet à la fois d’échapper aux poursuites (lesquelles ne sont même pas un risque: les propos négationnistes et antisémites les plus violents et les plus explicites n’y sont jamais poursuivis et jamais ou presque effacés par les «grandes plateformes»).

Pourtant, remis en contexte comme la conclusion qu’elle est de la déclaration des historiens, ce passage se comprend parfaitement et ne signifie nullement que l’aspect technique serait frappé d’interdit par des historiens tétanisés et impuissants: ce «il ne faut pas» doit être lu comme un «il n’est pas nécessaire de» qui ne pose aucune interdiction mais prend acte que la réalité précède la compréhension qu’on peut avoir des ses ressorts. Compte tenu des profils des historiens signataires, cela est une évidence pour tout lecteur de bonne foi.

4. La réfutation proposée dans l’ouvrage de l’historienne Stéphanie Courouble-Share

En 2023, j’ai collaboré avec l’historienne spécialiste du négationnisme Stéphanie Courouble-Share à la rédaction d’un petit ouvrage pédagogique (paru chez Eyrolles, Le Négationnisme, Histoire, concepts et enjeux internationaux) pour lequel nous avons réfléchi à la meilleure façon de démonter les mécanismes de cette falsification négationniste.

Stéphanie Courouble-Share a tiré de nos réflexions le passage suivant (p. 117-119):

«À la suite des premières allégations des négationnistes, P. Vidal-Naquet et Léon Poliakov (histoien de la Shoah et de l’antisémitisme) initiaient une déclaration d’historiens (34 signatures) dans Le Monde du 21 février 1979, où sont interpellés “les publicistes” se targuant du titre d’historiens et osant remettre en cause la “véracité des témoignages”. L’article, très détaillé, écrit dans le but d’éclairer “la génération qui n’a pas reçu le choc de 1945” et qui se pose alors des questions, expose la chronologie et les différentes méthodes de l’extermination, indique le nombre de morts, énumère les sources des historiens et apporte une réflexion sur ces témoignages. Cette déclaration a été critiquée pour sa conclusion: “Il ne faut pas se demander comment, techniquement, un tel meurtre de masse a été possible. Il a été possible techniquement puisqu’il a eu lieu. Tel est le point de départ obligé de toute enquête historique sur ce sujet. Cette vérité, il nous appartenait de la rappeler simplement: il n’y a pas, il ne peut y avoir de débat sur l’existence des chambres à gaz”.

La seule maladresse de cette conclusion, autrement impeccable, tient à ce “il ne faut pas”. Les négationnistes ont prétendu le comprendre comme une interdiction, ce qu’il n’était évidemment pas et ne pouvait être sous la plume de ces historiens. Le seul sens à accorder à cette injonction est qu’ “il n’est pas nécessaire de se demander comment, techniquement, un tel meurtre de masse a été possible”. La possibilité technique découle de la réalité de son accomplissement. La réalité précède toute connaissance technique détaillée. C’est tout le sens de la formule des historiens. Ainsi, on ignore toujours comment le puits de la citadelle de Besançon a été creusé au xviie siècle. Il n’est cependant pas nécessaire de savoir comment il a été creusé, il ne “faut pas” connaître à tout prix la méthode pour l’étudier et faire le constat de son existence: ce creusement a été possible puisque le puits est attesté depuis le xviie siècle. L’hyper-connaissance technique des détails d’un événement n’est pas nécessaire pour en attester la réalité. La critique des négationnistes constitue évidemment une falsification du sens qu’ont voulu, à une maladresse [d’expression] près, donner les historiens à leur conclusion.» (p. 117-119).

5. Scan de la déclaration des historiens parue dans le Monde du 1er février 1979

(cliquer sur l’image pour zoomer)

scan de la tribune des historiens parue dans le Monde du 1er février 1979

 

5. Transcription de la déclaration des historiens

La politique nazie d’extermination:
une déclaration d’historiens

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il est arrivé à maintes reprises que des publicistes, prenant parfois le titre d’historiens, aient mis en cause la véracité des témoignages sur la politique hitlérienne d’extermination. Ces témoignages avaient, en 1945, une évidence aveuglante. La grande majorité des déportés sont aujourd’hui morts. Il nous reste leurs textes et les archives du IIIe Reich, mais cette documentation n’empêche pas toujours des réflexes qui ne sont «critiques» qu’en apparence. Pour soutenir que le Zyklon B n’exterminait que les poux, il faut en réalité admettre en son for intérieur que les juifs, les Tziganes, au besoin les Slaves ou les hommes épuisés par leur travail n’étaient précisément que des poux.

Cela dit, il est naturel que la génération qui n’a pas reçu le choc de 1945 se pose aujourd’hui des questions. C’est à son usage, et non une réponse à qui que ce soit, que nous publions la présente déclaration. Nous le faisons en notre qualité d’historiens, qui ne nous donne aucun droit mais seulement un devoir, celui d’être, à travers les écoles de pensée auxquelles nous appartenons, les serviteurs de l’humble vérité, une seule mission, celle dont parlait déjà le «père de l’Histoire»: «Empêcher que ce qu’ont fait les hommes, avec le temps, ne s’efface de la mémoire».

«Des animaux humains»

1. — On évalue généralement à 6 millions le nombre de juifs, à 200 000 le nombre des Tziganes, à 100 000 le nombre d’Allemands considérés comme héréditairement tarés, exterminés au cours de la guerre. Il faut y ajouter plusieurs millions de Polonais, de Russes et d’autres Slaves dont le nombre devait être artificiellement réduit, par la faim, la limitation des naissances ou l’extermination, en fonction des besoins de l’État SS, de son espace vital, et de son mépris pour les «sous-hommes», pour ceux que Himmler appelait les «animaux humains».

À ces exterminations collectives s’ajoute l’assassinat individuel, par les méthodes les plus variées — y compris l’empoisonnement par gaz — de très nombreux déportés: Allemands antinazis, résistants des pays de l’Europe de l’Ouest — et singulièrement Français — voire prisonniers de droit commun. Certains de ces assassinats relevaient d’une décision «politique», d’autres achevaient des corps désormais incapables de travailler pour la machine de guerre nazie.

2. — La matérialité des faits est établie à la fois par le témoignage de milliers de déportés, par les documents administratifs émanant des archives du IIIe Reich et qui demeurent significatifs, même lorsqu’ils sont rédigés dans ce que Eichmann appelait l’«Amtsprache» (langage administratif), par les aveux circonstanciés des bourreaux enfin.

3. — Cette politique a connu plusieurs étapes. Dès le 1er septembre 1939, Hitler donnait l’ordre de supprimer les malades mentaux allemands qualifiés de bouches inutiles. Six centres d’extermination comprenant des chambres à gaz furent installés en Allemagne (Brandeburg, Grafeneck, Bernburg, Sonnenstein, Hartheim, Hadamar). Devant les protestations publiques du clergé allemand, Hitler fut cependant contraint en août 1941, de suspendre ce «programme d’euthanasie».

En prévision de l’attaque contre l’Union soviétique, Hitler ordonnait l’extermination, dans les territoires à conquérir, des ennemis raciaux: les juifs, des adversaires idéologiques: les «commissaires» communistes, des éléments «asociaux»: les Tziganes. Cette extermination fut d’abord essentiellement le fait des détachements spéciaux, les «Einsatzgruppen». Ils ont tué, principalement par fusillade, mais aussi à l’aide de camions comportant un dispositif permettant de gazer les occupants, un nombre difficile à évaluer d’êtres humains, peut-être deux millions. Ces méthodes entraînaient des difficultés psychologiques pour les autorités militaires et civiles, et ne furent pas appliquées en dehors du territoire soviétique, lieu par excellence de la guerre idéologique. Partout ailleurs, l’extermination fut pratiquée grâce à la création d’installations spéciales, principalement sur le territoire polonais. Au cours des premiers mois de 1942, cinq camps d’extermination, en dehors d’Auschwitz qui leur est antérieur et qui se trouvait alors sur le territoire du Reich, furent créés avec toutes les installations nécessaires, et notamment les chambres à gaz, Chelmno(1), Belzec, Sobibor, Treblinka et Maïdanek. Une mise en scène adéquate (camouflage des bâtiments en gare ordinaire, à l’aide d’affiches et d’inscriptions correspondantes) était destinée à donner le change aux victimes, pour prévenir les rébellions désespérées de dernière heure. Parmi tant et tant de témoignages, qui ne peuvent évidemment émaner de ceux qui ont été tués, faut-il rappeler celui du SS Gerstein qui tenta en vain d’alerter, dès 1942, les autorités civiles et religieuses sur ce qui se passait dans ces camps? Écrit par lui-même, le 26 avril 1945, pour les autorités françaises, dans un français hésitant, son récit, indiscutable sur l’essentiel, de ce qu’il a vu à Belzec, n’en est que plus saisissant:

«Moi-même avec le Hauptmann Wirth, police, nous nous trouvons avant les chambres de la mort. Totalement nus, les hommes, les femmes, les jeunes filles, les enfants, les bébés, les à une seule jambe, tous nus passent. Au coin, un SS fort qui, à haute voix pastorale, dit aux pauvres: “Il vous arrivera rien que vivement respirer, cela fait forts les poumons, cette inhalation, c’est nécessaire contre les maladies contagieuses, c’est une belle désinfection!” — Demandé quel serait leur sort, il leur dit: “Vraiment les hommes doivent travailler, bâtir des rues et des maisons. Mais les femmes ne sont pas obligées. Seulement si elles veulent, elles peuvent aider au ménage ou dans la cuisine.” — Pour quelques de ces pauvres gens, petit espoir encore une fois, assez pour les faire marcher sans résistance aux chambres de la mort, la majorité sait tout, l’odeur leur indique le sort! — Alors ils montent le petit escalier et — voyant la vérité! Mères, nourrices, les bébés à la poitrine, nues, beaucoup d’enfants de tous âges — nus — ils hésitent, mais ils entrent dans les chambres de la mort, la plupart sans mot dire, pressés des autres derrière eux, agités par les cravaches des SS. — Une juive, 40 ans environ, les yeux comme des flambeaux, cite le sang de leurs enfants sur leurs meurtriers 1851 . Recevant 5 coups de cravache au visage de la part de Hauptmann de police Wirth lui-même, elle disparaît dans la chambre à gaz. Beaucoup font leurs prières, d’autres disent: “Qui est-ce qui nous donne de l’eau pour la mort?” (Rite israélitique?). Dans les chambres, les SS presse[nt] les hommes. “Bien remplir”, le Hauptmann Wirth a ordonné. Les hommes nus sont debout aux pieds des autres. 700-800 à 25 mètres carrés, à 45 mètres cubes9! — Les portes se ferment.»

Auschwitz

Exposant le 20 janvier 1942, devant une quinzaine de hauts fonctionnaires, ce qu’on appelait désormais «la solution finale du problème juif», le ministre de la police, Reinhard Heydrich, se contentait de dire qu’une grande partie des juifs déportés «s’éliminera tout naturellement en raison de son état de déficience physique. Le résidu qui subsisterait en fin de compte — et qu’il faut considérer comme la partie la plus résistante — devra être traité en conséquence». Il s’agissait là d’un double euphémisme: «traiter en conséquence» signifiait en réalité «gazer» et les éléments les moins résistants, les femmes, les enfants, les vieillards, furent traités en conséquence dès leur arrivée sur les lieux d’extermination.

C’est à Auschwitz que le plan nazi d’extermination fut porté à la perfection. Créé en été 1940, d’abord à l’intention des prisonniers politiques ou criminels polonais ou allemands, ce camp, ce complexe gigantesque plutôt, couvrant quelques dizaines de kilomètres carrés, devint tout à la fois un lieu d’extermination immédiate et un camp de travail aux conditions de travail spécialement inhumaines. L’espérance moyenne de vie des détenus était de six mois. C’est en juin 1941 qu’Himmler chargea Rudolf Hoess, commandant d’Auschwitz, d’y établir un camp d’extermination. Après des expériences préalables effectuées sur des prisonniers soviétiques, Hoess opta pour le gaz «Zyklon B», un produit insecticide dont se servait couramment l’armée allemande. À partir du printemps 1942, les convois de juifs de toutes nationalités, y compris les convois provenant de France, affluèrent à Auschwitz.

Dans chaque convoi, environ les trois quarts des déportés: les enfants, les vieillards, la majorité des femmes, prenaient aussitôt le chemin des chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau. Leurs cadavres étaient incinérés dans de vastes crématoires attenant aux installations d’asphyxie. C’est également à Auschwitz que furent exterminés, pendant l’été 1944, les Tziganes de nationalité allemande. C’est enfin encore à Auschwitz que furent pratiquées de nombreuses «expériences médicales» comportant la dissection in vivo d’êtres humains.

Ces pratiques se poursuivirent jusqu’au mois de novembre 1944. Sur l’ordre d’Himmler, les installations meurtrières, chambres à gaz, fours crématoires, furent alors détruites, comme avaient été détruits, un an auparavant, les équipements analogues des camps polonais — à la seule exception de Maïdanek.

Le camp d’Auschwitz fut évacué devant l’avance soviétique au tout début de 1945. R. Hoess estimait le nombre des victimes à deux millions et demi de gazés, à un demi-million de morts dans le camp proprement dit; ces chiffres sont certainement exagérés, mais il n’est pas possible d’en donner de sûrs: les SS ne comptabilisaient pas ceux qui étaient immédiatement conduits à la chambre à gaz.

Les témoignages

4. — Un témoignage, un document peuvent toujours être suspectés. La critique des textes est une des règles fondamentales de notre profession. Il n’est pourtant pas possible de suspecter un ensemble gigantesque de témoignages concordants, émanant de personnes de toutes les professions, de tous les niveaux d’instruction, témoignages qui, pour nombre d’entre eux, ont été produits en justice au cours de procès, où l’on a vu les magistrats, y compris les magistrats allemands, se faire de plus en plus exigeants quant à la qualité de la preuve, au fur et à mesure que l’impression d’horreur immédiate qui avait marqué la fin de la guerre s’éloignait. Faut-il préciser où ont témoigné tous ceux qui ont participé à quelque niveau que ce soit, au processus d’extermination, depuis les membres du «Sonderkommando» chargés de conduire les victimes à la chambre et de dépouiller les cadavres, jusqu’au commandant d’Auschwitz en personne?

5. — Un dernier mot pour finir. Chacun est libre d’interpréter un phénomène comme le génocide hitlérien selon la philosophie qui est la sienne. Chacun est libre de le confronter ou de ne pas le confronter avec d’autres entreprises de meurtres, antérieures, contemporaines, postérieures. Chacun est libre de se référer à tel ou tel type d’explication, chacun est libre, à la limite, d’imaginer ou de rêver que ces faits monstrueux n’ont pas eu lieu. Ils ont malheureusement eu lieu et personne ne peut en nier l’existence sans outrager la vérité. Il ne faut pas se demander comment techniquement un tel meurtre de masse a été possible. Il a été possible techniquement puisqu’il a eu lieu. Tel est le point de départ obligé de toute enquête sur ce sujet. Cette vérité, il nous appartient de la rappeler simplement, il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de débat sur l’existence des chambres à gaz.

(1) A Chelmno, camp créé en décembre 1941, il ne s’agit pas encore de chambres à gaz fixes, mais d’un garage abritant des «camions à gaz»semblables à ceux qui étaient utilisés en Russie par les Einsatzgruppen.

Ce texte a été signé par les historiens dont les noms suivent et qui travaillent ou enseignent au Collège de France, au CNRS, dans les universités de Paris et de province, à l’École des hautes études en sciences sociales, à l’École pratique des hautes études: Philippe Ariès, Alain Besançon, Robert Bonnaud, Fernand Braudel, Pierre Chaunu, Monique Clavel-Levêque, Marc Ferro, François Furet, Jacques Julliard, Ernest Labrousse, Jacques Le Goff, Emmanuel Leroy Ladurie, Pierre Levêque, Nicole Loraux, Robert Mandrou, Claude Mossé, Roland Mousnier, Jacques Néré, Claude Nicolet, Valentin Nikiprowetzky, Evelyne Patlagean, Michelle Perrot, Léon Poliakov, Madeleine Rebérioux, Maxime Rodinson, Jean Rougé, Lilly Scherr, Pierre Sorlin, Lucette Valensi, Jean-Pierre Vernant, Paul Veyne, Pierre Vidal-Naquet, Edouard Will.

Les initiateurs de cette déclaration ont tenu à lui adjoindre une courte bibliographie qui permette à tout lecteur honnête de se faire une idée juste de ce que fut l’extermination nazie et la société concentrationnaire qui s‘est constituée sur ces marges. Nous avons choisi à dessein des livres de tous niveaux et de toute nature. tous aisément accessibles. Une bibliographie complète serait proprement gigantesque.

I. — Documents et témoignages

II. — Les Procès

III. — Analyses historiques et sociologiques

Il faut ajouter à cette liste le film d’Alain Resnais, Nuit et brouillard (1955).

(fin de la déclaration)

5. Quelques remarques historiographiques sur la déclaration des historiens

Publiée en 1979, la déclaration contient non des erreurs, mais des approximations que les travaux historiques ultérieurs ont depuis précisées: en 2024, nous sommes plus éloignés de 1979 que les auteurs de la déclaration ne l’étaient des événements. Notre connaissance a fait des progrès considérables, lesquels ne remettent nullement en cause les grands traits des événements proposés alors.

La présentation des assassinats par gazages faite dans la déclaration ne permet pas de distinguer les objectifs assez hétérogènes qu’ils ont poursuivi et les contextes associés, tout aussi hétérogènes, ainsi que leurs places dans l’extermination des Juifs. Les premiers assassinats par gazages concernaient bien les handicapés (ou considérés comme tels…), dans le cadre de l’ «Opération T4». De tels assassinats par gaz de handicapés eurent également lieu à l’Est en Pologne et URSS occupée, notamment via des camions à gaz, lesquels furent également utilisés pour assassiner des Juifs dans les mêmes zones géographiques. Les installations «en dur» des centres de mise à mort industrielle ont ciblé très majoritairement les Juifs d’Europe. Auschwitz ne tient pas un rôle central dans ce dispositif avant 1943. Auschwitz constitue un cas particulier et tardif et ne constitue pas l’épicentre de l’extermination des Juifs, même si, en terme de bilan, il pèse le plus lourd (de peu devant Treblinka). Cette perception est imputable au fait que son statut hybride, à la fois centre de mise à mort et camps de concentration (il faut bien distinguer ces deux réalités) a induit un nombre de survivants relativement important (plusieurs milliers, quand pour les centres de mise à mort stricto sensu, ils ne s’en compte que quelques dizaines). Leurs récits en Europe occidentale ont occupé l’espace public et historiographique, construisant ainsi une image biaisée du déroulement de l’extermination des Juifs par les nazis, reléguant pendant des décennies aux marges de l’histoire (et de la mémoire), les assassinats de masse par balles, les camions à gaz, Chelmno et les centres de mise à mort de l’Opération Reinhard, ainsi que l’extermination par la faim et la maladie dans les ghettos. Par ailleurs, le nombre de survivants juifs a lui-même été noyé dans le nombre de survivants du système concentrationnaire strico sensu, ce qui a induit une autre confusion mémorielle dont on n’est pas encore complètement sortis: la confusion entre «les camps de concentration» et la Shoah. Or les Juifs n’ont pas été assassinés dans les «camps de concentration». Les «camps de concentration» n’ont joué qu’un rôle marginal dans l’accomplissement du génocide. Le massacre industriel d’une partie des Juifs n’a pas eu lieu dans des «camps», mais dans les centres de mise à mort où ils étaient assassinés dès leur arrivée, en grande partie par gazage en Pologne (Chelmno, Belzec, Sobibor, Treblinka, Auschwitz-Birkenau, Majdanek), mais aussi par fusillades de masse en URSS et dans les pays baltes (Ponar, Babi Yar, Rumbula, Kaunas, Brona Gora, Maly Trostenets). Le texte des historiens est encore impregné de ces représentations collectives ce qui ne permettent pas de distinguer les assassinats par gazages à petite échelle commis tardivement par les nazis dans certains camps de concentration stricto sensu, et qui se distinguent bien de l’entreprise d’extermination des Juifs. Si des «camps de concentration» ont été, tardivement, équipés de chambres à gaz (Ravensbrück, Oranienburg-Sachsenhausen, Gusen-Mauthausen, Neuengamme, Natzweiler-Struthof, Stutthof, Dachau), cela n’a pas de lien avec la Shoah: c’était pour éliminer les esclaves concentrationnaires (dont de nombreux déportés politiques) devenus «inaptes au travail», ou effectuer des expériences. Les chambres à gaz de ces camps de concentration ont fait (hors Auschwitz) environ 10 000 victimes. A Auschwitz seulement, les installations destinées au massacre de masse des Juifs ont également été utilisées comme moyen d’assassiner les esclaves concentrationnaires malades ou devenus inutiles, souvent à l’issue de «sélections» connues par les survivants, qu’il faut distinguer des «sélections» à l’arrivée des convois de Juifs, qui extrayaient de ces convois une minorité destinée à l’esclavage concentrationnaire pendant que la majorité était envoyée à la mort par gazages de masse, sans entrer dans le camp.

Le nombre de victimes d’Auschwitz évaluée par Hoess, que la déclaration des historiens place à trois millions a varié selon les récits de Hoess. Cette valeur n’est qu’un des chiffres qu’il a avancés, un des premiers fournis par Hoess, notamment lors d’un témoignage à Nuremberg. Toutefois Hoess, dans ses mémoires rédigés plus tard, a expliqué qu’il n’avait alors pas pu correctement rassembler ses souvenirs à cette première occasion, mais que, une fois les éléments dont il disposait rassemblés, il évaluait le nombre de victimes à un peu plus d’un million, ce qui est conforme à l’historiographie la plus récente.

La mention dans l’étude des historiens d’un épisode où Himmler aurait chargé Hoess à l’été 1941 de l’extermination des Juifs à Auschwitz est aujourd’hui rejetée comme une erreur de calendrier (volontaire ou non) de Hoess. Le reste du récit est conforme en terme de dates à la réalité du déroulement des assassinats à Auschwitz.

S’il nous semble nécessaire d’apporter ces précisions, il ne s’agit nullement de reproches faits aux historiens qui, en 1979, ont su résumer l’état de l’art de la connaissance historique qu’on avait alors de l’extermination des Juifs et des assassinats par gazages en présentant pourquoi et comment on savait ce que l’on savait (dimensions toujours absentes des manipulations négationnistes). A cet égard, la mise à disposition de la bibliographie représentait un élément fondamental de ce dispositif, systématiquement passé sous silence par les négationnsites car nombreux sont les ouvrages de la liste alors proposée qui réfutaient par leur seule lecture les mensonges négationnistes.  C’est peu dire que depuis l’offre historienne s’est encore accrue, tant en quantité qu’en qualité. Toutefois, il serait erroné de penser que, au moment où les historiens écrivaient en 1979, les matériaux documentaires et publications n’établissaient pas déjà largement, et depuis longtemps, la matérialité des assassinats de masse par gazages. Des documents que recoupaient de nombreux témoignages avaient été depuis longtemps exploités et mis en relief par une historiographie importante que ce soit dans le cas des camions à gaz que de celui des chambres à gaz en dur, établissant avec rigueur et précision, entre autres, le caractère criminel des installations de gazages, notamment à Auschwitz. Tout cela se trouvait notamment dans les publications citées dans la bibliographie, mais aussi dans toute une littérature savante, notamment en Allemand, reposant sur une exploitation rigoureuse des traces de toutes natures, dont l’énorme corpus documentaire laissé par les nazis. Une revue comme la prestigieuse Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte avait publié d’importantes études sur ces sujets, y compris réfutant les mensonges négationnistes, bien avant 1979. Lorsqu’en France, à partir de 1978, Faurisson et ses acolytes prétendaient que le sujet n’avait pas été, ou avait été mal traité, ils mentaient de façon radicale.

6. Influence de la déclaration sur les négationnistes

La principale utilisation/réaction — et de loin — à ce texte d’historiens par les négationnistes a été d’en extraire, pour en falsifier le sens, la fin de la conclusion. Toutefois, cette déclaration a eu un autre effet. Les négationnistes ne produisent jamais, n’ont jamais produit de travaux, ou de recherches inédites. Ils sont et ont toujours été dans un mode purement réactif, à savoir qu’ils ne s’intéressent qu’à l’air du temps et se concentrent sur les symboles qui saturent l’espace public plus que sur la documentation historique dans toute sa diversité et son extension et encore moins sur les travaux des historiens quasiment absents de leurs discours. Ainsi, jamais les négationnistes ne s’intéresseront aux explications offertes par les historiens dans leur déclaration quant aux raisons, méthodes, modalités qui font que l’on sait ce que l’on sait du réel, comment se tisse cette connaissance par les historiens via l’étude critique des documents et des témoignages. Par contre, ils identifient et isolent, au sein de l’argumentaire déployé par les historiens des éléments qu’ils jugent spectaculaires ou symboliques et décident d’en produire la critique, ou plutôt l’hypercritique. Ils cibleront ainsi Elie Wiesel, non pour la valeur de son témoignage (faible, selon nous, en ce qui concerne la Shoah stricto sensu), mais pour la notoriété de son auteur, ainsi que le récit du SS Kurt Gerstein, particulièrement puissant et mis en avant dans la déclaration10. Le «programme» des négationnistes est ainsi fixé uniquement par réaction et en isolant une minorité de sources qui seront (mal)traitées  comme si elles ne s’inscrivaient pas dans un immense corpus de traces de toutes natures extrêmement convergentes et cohérentes: une anti-histoire.

7. En résumé…

En 1979, en réaction à la publication scandaleuse et délétère par Le Monde des discours négationnistes de Faurisson, une trentaine d’historiens français, parmi les plus prestigieux, venus de tous horizons politiques, signent une longue déclaration dans le même journal, stigmatisant les méthodes radicalement malhonnêtes des négationnistes et rappelant comment se constitue la connaissance historique de la réalité et sur quels fondements particulièrement solides se constatent et s’établissent les faits et la réalité de l’extermination des Juifs par les nazis, y compris les assassinats de masse par gazages. A la toute fin de la déclaration, juste avant une bibliographie synthétique remarquable, les historiens usent d’une formule maladroite, «Il ne faut pas se demander comment techniquement un tel meurtre de masse a été possible. Il a été possible techniquement puisqu’il a eu lieu». Les négationnistes s’emparent de ce «il ne faut pas» pour prétendre que les historiens ont émis un interdit, un tabou. Il s’agit d’une falsification du sens de ce passage qui se comprend dans le contexte de toute la déclaration (presque toujours passée sous silence par les négationnistes), non comme un interdit, mais comme le fait qu’il n’est pas nécessaire de connaître les aspects techniques des modalités des assassinats par gazages pour faire le constat de leur réalité advenue. C’est pratiquement un truisme. Aucune interdiction d’étude ni de recherche n’était évidemment posée. Comme d’habitude, les négationnistes auront falsifié la signification d’un texte qu’ils prétendent commenter.


Notes

1. Le 16 novembre 1978, Le Matin de Paris publie un article consacré à Faurisson, reprenant les propos négationnistes d’une lettre dont ce dernier avait arrosé les rédactions de France et de Navarre (tout en multipliant les erreurs concernant Faurisson), «Les chambres à gaz, ça n’existe pas!». Libération citait aussi longuement Faurisson le surlendemain («L’enseignement de l’antisémitisme», 18-19 novembre 1978, p. 3). Le 21 novembre, Libération cite de nouveau Faurisson («Les cours de Robert Faurisson,le prof antisémite provisoirement suspendus», p. 5). Libération donnerait ensuite plusieurs fois longuement la parole à Pierre Guillaume alors en plein processus d’engagement pro-négationniste. Le 16 décembre 1978, Le Monde publie une première «Lettre de M. Faurisson» (p. 12), laquelle prépare de façon évidente la publication qui suivra: le 29 décembre 1978, Le Monde publie un texte de Faurisson intitulé «“Le problème des chambres à gaz” ou “la rumeur d’Auschwitz”» (p. 8), sur une page présentant un «Dossier. Les chambres à gaz» qui met sur le même plan que les mensonges de Faurisson un article en réponse de l’historien Georges Wellers, «Abondance de preuves», installant ainsi la légitimité de la «controverse», même si (mais aussi pour cela) l’article de Georges Wellers était une parfaite réponse et réfutation d’historien. Elle fut complétée le lendemain, dans l’édition du 30 décembre 1978, par un long article d’une autre historienne, Olga Wormser-Migot, sur «La solution finale» (p. 8) présenté comme partie intégrande du «Dossier. Les chambres à gaz». Cela n’empêche pas Le Monde de publier une nouvelle (et longue) «Lettre de M. Faurisson» dans son édition 16 janvier 1979 (p. 13) qui déploie de nouveau le discours négationniste de Faurisson, lequel aura de nouveau droit à publier un «droit de réponse» dans Le Monde du 29 mars 1979 (p. 15). Le Monde laissera passer des publicités pour les ouvrages du guru posthume du négationnisme, l’imposteur Paul Rassinier (édition du 14 décembre 1979) réédité par les soutiens d’extrême-gauche de Faurisson de la Vieille Taupe ou le gros livre négationniste de Serge Thion, par la Vieille Taupe également (éditions des 20, 21 et 24 juin 1980), puis de nouveau en 1985 un ouvrage négationniste de Rassinier (3 avril 1985) et en 1986, pour une publicité de trois ouvrages négationnistes, l’un de Rassinier, un autre de Pierre Guillaume de la Vieille Taupe, un troisième du militant nazi et négationniste allemand Wilhelm Stäglich (édition du 4 juin 1986) auquel la perversion négationniste mêle un ouvrage sur l’antisémitisme de Bernard Lazarre (sur l’instrumentalisation antisémite de cet ouvrage, voir Philippe Oriol, «L’Antisémitisme, son histoire et ses causes de Bernard Lazare», in Dominique Schnapper, Paul Salmona et Perrine Simon‐Nahum (dir.), Paris: Odile Jacob, 2016).

2. Philippe Ganier-Raymond, «“A Auschwitz, on a gazé que les poux”. Une Interview de Darquier de Pellepoix, ex-commissaire aux Questions juives du gouvernement de Vichy», L’Express, 28 octobre-4 novembre 1978, p. 165-199, p. 173 pour le passage «Je vais vous dire, moi, ce qui s’est exactement passé à Auschwitz. On a gazé. Oui, c’est vrai. Mais on a gazé les poux», formulation presque ambigüe (les antisémites ne se privant pas de considérer les Juifs comme des poux…) que d’autres propos de l’interview éclairent quant à leur teneur négationniste, comme est éclairée la dimension antisémite du discours de Darquier («Mais, que voulez-vous, ils sont comme ça, les Juifs. Il faut toujours qu’ils mentent», ibid.).

3. Ariane Chemin, «Le jour où Le Monde a publié la tribune de Robert Faurisson», Le Monde, mardi 21 août 2012, p. 12-13, en ligne…

4. Jacqueline Piatier, «Lautréamont en Sorbonne. Maldoror entre M. Prudhomme et M. Fenouillard», Le Monde, 23 juin 1972, p. 13, 15.

5. Lettre de Jacqueline Piatier à Robert Faurisson du 17 juillet 1977, rédigée sur papier à en-tête du Monde, texte reproduit par Faurisson le 27 août 2012 sur son blog sur une page intitulée «Quand Jacqueline Piatier écrivait à Robert Faurisson au sujet des prétendues “chambres à gaz nazies”», fac-similés de la lettre fournis par l’ancien collaborateur de Faurisson, Paul-Eric Blanrue, au site du vociférateur antisémite Alain Soral, Egalité & Réconciliation, qui les a mis en ligne le 30 août 2012 sur une page intitulée «La fondatrice du "Monde des livres", Jacqueline Piatier, a soutenu en privé le professeur Faurisson».

6. Serge Thion, «Robbe-Grillet, les fillettes et les chambres à gaz», Conseils de révision. Le drapeau noir flotte sur la Palestine, Actualités de mars 2001, mars 2001, site web AAARGH (Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d’Holocauste), copie en possession de l’auteur (et archivée sur archive.org).

7.Georges Wellers, «Abondance de preuves», Le Monde, 29 décembre 1978, p. 12; Olga Wormser-Migot, «La solution finale», Le Monde, 30 décembre 1978 (p. 8). Georges Wellers complètera par une lettre publiée par le Monde le 21 février 1979, accompagnant la déclaration des historiens, «Un roman inspiré», répondant à de récents propos des négationnistes faisant l’apologie de l’imposteur négationniste Paul Rassinier et tentant de disqualifier le récit du SS Johann Paul Kremer. La lettre de Georges Wellers est lisibible sur notre scan de la déclaration des historiens sur la présente page. Le «Journal de Kremer» représente une telle preuve des assassinats de masse à Auschwitz, contemporaine, de l‘événement que Faurisson dépensera beaucoup d’énergie à en offrir une lecture complètement falsifiée (et évidemment totalement isolée des nombreuses autres traces de toutes natures du meurtre de masse par gazages à Auschwitz). L’historien Maxime Steinberg proposerait en 1990 une analyse magistrale tant du «Journal de Kremer» que des falsifications qu’en avaient élaborées Faurisson, et évidemment la réfutation impitoyable de celles-ci, offrant au passage une magistrale leçon de méthode historique, dans son ouvrage Les yeux du témoin et le regard du borgne. L’Histoire face au révisionnisme, Paris: Les Éditions du Cerf, 1990, en ligne sur PHDN… La déclaration des historiens du 21 février 1979 est complétée par le remarquable article de l’historien François Delpech, «La vérité sur la “solution finale”», Le Monde, 8 mars 1979, p. 31. François Delpech développera cette synthèse dans une longue étude publiée la même année, «La persécution nazie et l’attitude de Vichy», Historiens et Géographes, no. 273, mai-juin 1979, en ligne…

8. Entretien avec Robert Faurisson, Vichy, le 9 avril 1996, cité dans Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Paris: Editions du Seuil, 2000, p. 240.

9. [Note de PHDN] Gerstein a commis des erreurs sur les chiffres, extrêmement banales dans tout témoignage. Tous les historiens, tous les policiers, juges et avocats savent que les distances, les quantités, les nombres font très souvent l’objet d’erreurs dans les récits de témoins, erreurs qui ne remettent nullement en cause ni la sincérité, ni la fiabilité générale de leur témoignages et surtout pas la nature des événements relatés. Les négationnistes se sont évidemment jetés sur ces chiffres pour rejeter en bloc tout le récit de Kurt Gerstein, une abberation du point de vue de la méthode historique. Sur les chiffres de Gerstein, Pierre Vidal-Naquet et Léon Poliakov précisent dans Le Monde du 8 mars 1979 «Cela signifie tout simplement que Gerstein s’est trompé soit sur les dimensions de la pièce, soit sur le nombre des victimes. Cette erreur s’explique aisément: la précision en matière de chiffres n’était pas la qualité prédominante de Gerstein, et il avait vécu dramatiquement sa visite à Belzec. Reste ce qui est précisément l’essentiel. Kurt Gerstein, lieutenant SS, ingénieur chimiste chargé par les autorités SS des problèmes de la désinfection, a-t-il, oui ou non, assisté, le 20 août 1942, à l’arrivée d’un train de déportés juifs à Belzec et a-t-il été le témoin de l’extermination à l’oxyde de carbone de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants? La réponse est: oui, sans le moindre doute. Kurt Gerstein, dans son rapport rédigé le 26 avril 1945, avait signalé qu’il avait été accompagné par le professeur Wilhelm Pfannenstiel, de l’université de Marburg. Or celui-ci, déposant à Darmstadt le 6 juin 1950, tout en contestant certains détails du récit de Gerstein, qu’il s’agisse des chiffres avancés par celui-ci ou du rôle et des propos qui lui étaient prêtés, n’en déclara pas moins:Après avoir coupé les cheveux aux femmes, on conduisit tout le chargement dans un bâtiment de six chambres. À ma connaissance, quatre seulement furent utilisées. On enferma ces hommes dans les chambres où furent introduits les gaz d’échappement d’un moteur”. […] Par ailleurs, Gerstein, immédiatement après sa visite à Belzec et à Treblinka, s'était confié à un diplomate suédois, le baron von Otter, qui fit rapport à son gouvernement.» (Léon Poliakov et Pierre Vidal-Naquet, «À propos du témoignage sur Kurt Gerstein», Le Monde, 8 mars 1979). Voir également note suivante.

10. Le cas et les récits de Kurt Gerstein ont fait l’objet d’une abondante littérature, dont l’article de Pierre Vidal-Naquet et Léon Poliakov cité dans la note précédente fournissait deux exemples: Saül Friedländer, Kurt Gerstein ou l'ambiguïté du bien. Paris, Casterman, 1967; L. Poliakov et J. Wulf, Le IIIe Reich et les juifs, Paris, Gallimard, 1959 (citant un des récits de Gerstein au pages 122-124). On peut également mentionner: Léon Poliakov, «Le dossier Kurt Gerstein», Le Monde juif, no 1 (36), janvier-mars 1964, reproduit dans la Revue d’Histoire de la Shoah, 2012/1 (no 196), en ligne…; Léon Poliakov, «Nouveaux documents sur Kurt Gerstein», Le Monde juif, 1964/2 (no 37), en ligne…; «Les chambres à gaz et le témoignage Gerstein», Le Monde juif, 1977/2 (no 86), en ligne…; Georges Wellers, «Encore sur le “Témoignage Gerstein”», Le Monde juif, 1980/1 (no 97), en ligne…; des témoignages de Nieu Wenhuizen, du Baron von Otter et de Henk de Vos, auxquels Gerstein avait confié, pendant la guerre, son expérience des assassinats par gazages, ont été recueillis à l’occasion d’un procès contre Faurisson et reproduits dans «Des témoignages essentiels dans une affaire jugée», Le Monde juif, 1986/2 (no 122), en ligne…; Florent Brayard, «Un rapport précoce de Kurt Gerstein», Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 6 | 2000, en ligne…; Florent Brayard, «L’humanité versus Zyklon B. L'ambiguïté du choix de Kurt Gerstein», Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2002/1 (no 93), en ligne…; Valerie Hébert, «Disguised Resistance? The Story of Kurt Gerstein», Holocaust and Genocide Studies, vol. 20 n. 1, spring 2006; Florent Brayard, «Au risque du mal. La résistance de Kurt Gerstein», in, André Loez & Nicolas Mariot (éds.), Obéir, désobéir, La Découverte, 2008; on mentionnera un des rapports de Kurt Gerstein, daté du 4 mai 1945, en ligne dans sa version en allemand;

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