13. Londres, 1819, souvent réédité. 14. Agen, 1811 (ou 1827); nombreuses éditions; une des premières porte le titre significatif: Le Nouveau Dupuis ou l’Imagination se jouant de la Vérité. 15. Whately applique à plusieurs reprises les règles formulées par Hume dans son Essai sur les miracles (qui fait partie de l’Enquiry concerning human Understanding). 16. Titre d’un mémoire paru en 1179-1780 dans le Journal des savants; sa grande œuvre est l’Origine de tous les cultes ou la Religion universelle, 1795. 17. Traduit en français dans la revue de folklore Mélusine, t. II, p. 73 sq. 18. Car il est difficile de se reconnaître au milieu de cette œuvre immense et confuse, dont la bibliographie est compliquée par l’existence d’éditions subreptices, ou usurpées, de protestations ou de rétractations dont la sincérité est suspecte, etc. Voir par exemple M. Veyssière de la Croze, Vindiciae veterum, scriptorum contra Harduinium, Rotterdam, 1701. 19. Que venait de révéler l’œuvre posthume d’Ant. Bosio, Roma subterranea navissima, Rome, 1651. 20. G. Burnett, Letters (from) Switzerland..., Rotterdam, 1686, au moins cinq éditions en quarante ans; F.-M. Misson, Nouveau Voyage d’Italie, La Haye, 1691, plusieurs éditions et traductions en anglais, allemand, hollandais; P. Zorn, Dissertatio historico-theologica de catacumbis..., Leipzig, 1703. 21. Cf. G. J. Renier, History, its Purpose and Method, p. 134. 22. W. A. Walsh, Introduction to Philosophy of History, p. 96. 23. De l’authenticité des Annales et des Histoires de Tacite, 1890; Nouvelles Considérations au sujet des Annales et des Histoires de Tacite, 1894. 24. Nouvelles Considérations..., p. 211, sq. 25. Études au sujet de la persécution des chrétiens sous Néron, 1885, p. 79-143... 26. Ainsi M. Durry, éd. de Pline le Jeune, Lettres (Livre X), coll. « Budé », 1947, p. 70. 27. Comme je l’écrivais, emporté par la passion polémique, en 1939, Tristesse de l’historien, p. 36. 28. ibid., p. 37; cf. R. Aron, Introduction, p. 88. 29. I Cor., XIII, 12. 30. 1 Cor., T, 23. 31. Préface de son Histoire ancienne de l’Église, t. I, p. XV, citant Rom., XII, 3.

Sur la méthode hypercritique


Charles-Victor LANGLOIS & Charles SEIGNOBOS, Introduction aux études historiques, Paris, Kimé, 1992 (1re éd., Paris, Hachette, 1898).

p. 115

L’hypercritique. C’est l’excès de critique qui aboutit, aussi bien que l’ignorance la plus grossière, à des méprises. C’est l’application des procédés de la critique à des cas qui n’en sont pas justiciables. L’hypercritique est à la critique ce que la finasserie est à la finesse. Certaines gens flairent des rébus partout, même là où il n’y en a pas. Ils subtilisent sur des textes clairs au point de les rendre douteux, sous prétexte de les purger d’altérations imaginaires. Ils distinguent des traces de truquage dans des documents authentiques. État d’esprit singulier ! à force de se méfier de l’instinct de crédulité, on se prend à tout soupçonner. — Il est à remarquer que plus la critique des textes et des sources réalise de progrès positifs, plus le péril d’hypercritique augmente. En effet, lorsque la critique de toutes les sources historiques aura été correctement opérée (pour certaines périodes de l’histoire ancienne, c’est une éventualité prochaine), le bon sens commandera de s’arrêter. Mais on ne s’y résignera pas : on raffinera, comme on raffine déjà sur les textes les mieux établis, et ceux qui raffineront tomberont fatalement dans l’hypercritique.


Henri Irénée MARROU, De la connaissance historique, Éd. du Seuil, coll. Points Histoire, 1975.

p. 92-93

[L’historien] ne doit pas avoir en face des témoins du passé cette attitude renfrognée, tatillonne et hargneuse, celle du mauvais policier pour qui toute personne appelée à comparaître est a priori suspecte et tenue pour coupable jusqu’à preuve du contraire; une telle, loin d’être une qualité, serait pour l’historien un vice radical, le rendant pratiquement incapable de reconnaître la signification réelle, la portée, la valeur des documents qu’il étudie; une telle attitude est aussi dangereuse en histoire que, dans la vie quotidienne, la peur d’être dupe, cette affectation que Stendhal aime à prêter à ses personnages (« je suppose toujours que la personne qui me parle veut me tromper »...).

p. 130-139

[...] nous limitant pour l’instant à la seule analyse logique du comportement de l’historien, il nous faut souligner à nouveau le fait qu’aucune des conclusions de son enquête, aucune vérité historique, n’est à proprement parler, au sens rigoureux des termes, in-contestable, contraignante. C’est ce qui ressort, de façon éclatante, de l’ensemble des faits rassemblés dans le dossier si curieux de l’hypercritique, qu’il faut avoir le courage d’ouvrir et de considérer sans scandale. Il contient en premier lieu une série d’expériences outrancièrement paradoxales, voulues comme telles par leurs auteurs: ceux-ci, dans un contexte polémique (soit pour combattre le scepticisme historique engendré par un trop strict rationalisme, soit au contraire pour ramener à la prudence le dogmatique échevelé des faiseurs d’hypothèses), ont cherché à rendre en quelque sorte manifeste le caractère non nécessaire des vérités historiques en montrant qu’on pouvait en toute rigueur logique, sans tomber dans la contradiction, nier la plus évidente, contester par exemple l’existence de Napoléon Ier les plus célèbres de ces « expériences pour voir » sont en effet celles de R. Whately, Historic doubts relative to Napoleon Buonaparte13 et de J.-B. Pérès, Comme quoi Napoléon n’a jamais existé14; le premier, futur archevêque (anglican) de Dublin, membre de ce curieux groupe des libéraux d’Oxford dont j’ai signalé l’importance, voulait montrer, en passant à la limite, ce qu’avaient d’excessif les exigences rationalistes de Hume contre les miracles évangéliques15; le second, un ancien Oratorien devenu bibliothécaire d’Agen, fait de Napoléon un mythe solaire pour ridiculiser la théorie, en son temps fameuse, de Ch. Fr. Dupuis sur « l’explication de la fable par le moyen de l’astronomie16 » Ce ne sont pas les seuls cas connus: lorsque Max Müller reprit à sa manière l’hypothèse de Dupuis sur l’origine solaire des mythes grecs, on vit circuler parmi les étudiants d’Oxford un tract anonyme: Comme quoi M. Max Müller n’a jamais existé17... Et moi-même, polémiquant un jour contre un de ces amateurs qui contestent un peu facilement l’existence de Jésus, j’avais entrepris de démontrer que Descartes était lui aussi un mythe créé de toutes pièces par les Jésuites de La Flèche, préoccupés de faire de la réclame pour leur collège.

A côté de cela, nous avons, et le cas est encore plus révélateur, des interprétations, elles aussi parfaitement logiques, cohérentes, ne se heurtant à aucune impossibilité rationnelle absolue, qui, cette fois, ont été soutenues très sérieusement par leurs auteurs, pour qui elles étaient une authentique vérité, mais que l’unanimité de leurs confrères, de tous les techniciens compétents de l’histoire, considèrent comme évidemment fausses, totalement irrecevables, indignes même d’être réfutées autrement que d’un haussement d’épaules.

Je citerai le cas vraiment étonnant du savant Jésuite Jean Hardouin (1646-1729), qui fut un grand érudit, et dans de multiples domaines (numismatique, philologie, etc.) un bon serviteur de l’histoire (nous utilisons encore avec profit, pour ses commentaires, sa grande édition de Themistios, et ses Acta conciliorum ont marqué une date dans le progrès des études ecclésiastiques), mais qui s’avisa à partir d’août 1690, de contester l’authenticité de la plus grande partie des littératures grecque et latine, classiques ou chrétiennes; ses jugements sont d’un arbitraire farfelu: il condamne l’Enéide, mais accepte les Géorgiques, comme il accepte d’Horace Satires et Épîtres, mais pour rejeter les Odes. Tous ces apocryphes auraient été fabriqués de toute pièce par des moines du XVIe siècle!

Dans la mesure où on peut essayer de comprendre ce cas vraiment limite18, il semble que le point de départ de cet échafaudage insensé ait été la préoccupation, naïvement intéressée, de retirer aux méchants jansénistes les armes que l’œuvre de saint Augustin leur fournissait, car c’est semble-t-il, l’authenticité des Pères de l’Église qu’il suspecta la première: il nous explique complaisamment comment à peine fabriquées, vers le milieu du XIVe siècle, leurs œuvres furent utilisées par les hérétiques, comme Wyclif, avant de l’être par Luther et Calvin!

Le P. Hardouin n’est pas un phénomène isolé: vers le même temps on vit des érudits protestants, inquiets des renforts que l’apologétique catholique trouvait dans les monuments des catacombes romaines19, entreprendre de nier le caractère chrétien de ces cimetières souterrains et attribuer leurs peintures à des faussaires du Moyen Age 20.

Au début du XIXe siècle, un certain P. J. F. Muller, mû, lui, par la passion nationale, prétendit que les documents concernant le Moyen Age germanique avaient été falsifiés par des étrangers jaloux, qui avaient voulu faire oublier que les Allemands avaient été alors le peuple le plus civilisé et politiquement le plus unifié de l’Europe21!

Il serait facile de multiplier les exemples et d’en fournir de très récents...

Peut-on dire que nous rejetons ces billevesées comme l’Académie des sciences rejette les communications, que chaque année, paraît-il, d’aimables fous ne manquent pas de lui envoyer, concernant la valeur erronée de [pi] ou la possibilité du mouvement perpétuel? Non, les choses sont toutes différentes, car nous ne pouvons, à proprement parler, déceler chez nos hypercritiques de vrais paralogismes, ni leur opposer des évidences réellement contraignantes. La raison historique se situe au niveau du possible, du (plus ou moins) probable; elle propose à notre assentiment, à prendre les choses au mieux, des témoignages que rien n’empêche de croire, que de bonnes raisons nous encouragent à accepter; mais que répondre à celui qui estime que ces motifs de crédibilité ne sont pas suffisants? On connaît le mot de Mgr Duchesne à un contradicteur qui l’avait traité d’hypercritique: « Et si moi je vous rétorque que c’est vous qui êtes hypocritique? »

On ne peut contraindre à la foi: d’où (chaque génération d’historiens en fait l’expérience) le caractère passionné, l’âpreté, l’infinitude des discussions suscitées par de telles hypothèses hypercritiques: on ne parvient pas à s’entendre, à faire partager sa conviction...

Sans doute il est clair qu’une sorte d’unanimité se réalise bientôt, s’est faite par exemple, dès le XVIIe siècle, contre ce pauvre Hardouin; il n’est donc peut-être pas impossible de définir d’un commun accord ce qu’on pourrait appeler la zone correcte d’application de la raison historique, a standard way of thinking about its subject-matter22 qu’on puisse qualifier de normal. Sans doute, et c’est bien en ce sens qu’il me parait possible de défendre contre le scepticisme la validité de l’histoire (qui doit se chercher non pas dans l’inaccessible rigueur de l’apodictique mais sur le plan du « pratiquement satisfaisant »), mais il faut préciser les conditions logiques d’un tel accord.

Constatons d’abord que s’il existe, cet accord ne s’établit pas au même niveau d’exigence critique dans tous les domaines de la recherche historique: il y a des zones paisibles où les témoignages sont acceptés sans difficulté pour leur valeur faciale, d’autres au contraire où règnent inquiétude, scrupule et méfiance; quel contraste par exemple lorsqu’on passe (il s’agit pourtant des mêmes siècles, du même milieu de civilisation) de l’histoire de l’Empire romain à celle des origines chrétiennes!

Le contraste peut s’analyser dans l’œuvre d’un même auteur: voici, c’est un digne successeur du P. Hardouin, le cas de Polydore Hochart, un honnête agrégé de l’enseignement secondaire français qui a consacré deux volumes, grand in-8°, à contester l’authenticité des Annales et des Histoires de Tacite23; qui seraient d’après lui des faux dus à la plume du Pogge, le célèbre humaniste du XVe siècle (il voyait par exemple dans Ann. III, 58, où il est question de l’interdiction faite aux flamines de Jupiter de sortir d’Italie, un écho des polémiques du temps sur le séjour des cardinaux loin de Rome24). Cette hypothèse a rencontré la plus totale indifférence, manuels ou bibliographies ne la mentionnent même pas. Par contre le même Hochart a, et cela avec d’aussi mauvaises raisons, rejeté le livre X des Lettres de Pline le Jeune contenant les fameuses lettres X, 96-97, sur les chrétiens de Bithynie25; comme il a touché là à un de ces problèmes âprement contestés, il se voit prêter attention et dûment cité (quitte à se voir reprocher son manque de jugement) par qui reprend un peu à fond l’examen de la question26.

Pourquoi? C’est que le problème du christianisme reste pour beaucoup de nos contemporains une question posée, actuelle, impérieuse, mettant en jeu leur option fondamentale sur la vie: comment s’étonner dès lors qu’avec l’enjeu existentiel croisse parallèlement l’exigence critique? Dans ce domaine où toute affirmation historique constitue par elle-même une raison supplémentaire de croire ou de douter, il est naturel que l’historien s’avance avec circonspection, sonde pour ainsi dire à chaque pas la fermeté du sol où il va poser le pied, disons sans métaphore: qu’il réclame aux documents leurs titres de crédibilité avec une particulière insistance et dans chaque cas ne se décide à franchir le pas qu’après de longs débats intérieurs.

Mais il faut souligner, ce que l’histoire positiviste, trop fière du titre équivoque de « science » dont elle se parait, évitait volontairement de reconnaître, que ces conclusions historiques de si grande importance pour la foi religieuse relèvent déjà elles- mêmes de la catégorie gnoséologique de la foi: l’analyse critique, si poussée soit-elle, ne sortira jamais de l’examen des motifs de crédibilité, ne pourra jamais conclure à la réalité du passé si n’intervient pas la volonté de croire, de « faire confiance » au témoignage des documents.

L’expérience de l’hypercritique nous met fréquemment en présence de ce que le théologien dans son domaine appellerait l’obstination dans l’incrédulité: il suffit qu’un historien soit animé de quelque passion profonde (et la simple curiosité, le moraliste le sait bien, peut devenir une passion redoutable) pour qu’avant de se décider à accorder sa créance il se mette à exiger toujours plus de ses documents, qu’il les examine d’un œil toujours plus soupçonneux, et c’en est fait de la possibilité de conclure! Il existe de la sorte, un peu partout en histoire, des points cancéreux où la discussion s’éternise, s’envenime, la bibliographie prolifère — sans profit positif.

Comme on voit de temps en temps l’épidémie s’étendre, des doutes surgir, une nouvelle question soumise à la dispute, la tentation est grande, et il faut savoir s’en garder, de succomber au scepticisme et de conclure: « en histoire rien n’est sûr; ce qui tend, à la limite, à être « certain », c’est moins le fait bien attesté que celui que personne n’a encore trouvé utile de contester27; c’est pourquoi la vérité historique n’est valable que pour ceux qui veulent cette vérité28 »,

Mais ce serait là aller trop loin: le scepticisme n’est légitime qu’en référence au dogmatisme positiviste, dont les racines, on le sait, plongent ici jusqu’à Kant, pour qui, à la différence d’un rationaliste conséquent comme Descartes, les faits historiques, connus par le témoignage de l’expérience d’autrui, seraient objet de science; la déception n’existe qu’au regard de ces illusions-là. En fait toutes les observations qui précèdent n’ont fait qu’illustrer le fait fondamental: la connaissance historique, reposant sur la notion de témoignage, n’est qu’une expérience médiate du réel, par personnage interposé (le document), et n’est donc pas susceptible de démonstration, n’est pas une science à proprement parler, mais seulement une connaissance de foi.

Dès lors il devient possible de déterminer, comme nous avons constaté que les historiens le déterminent en pratique de fait, l’intervalle utile où peut efficacement s’exercer l’exigence critique. C’est souvent du travail perdu que de la pousser trop loin, car le moment vient bientôt où la critique ne révèle rien de plus que le principe général: le jugement historique relève de l’ordre du probable, non de la nécessité. Eh oui, bien sûr, les choses pourraient toujours s’être passées autrement, tout témoignage peut être contesté; on le sait! Essayons donc plutôt de comprendre notre document, de voir ce qu’on peut savoir de son être réel, et ce qu’il est raisonnable d’en tirer... Raisonnable, sans plus; à qui exige davantage, il faut répondre, comme la courtisane vénitienne répondait à Rousseau: « Lascia le donne e studia la matematica », d’abandonner l’histoire et de se limiter aux mathématiques, car c’est là le seul domaine où l’esprit géométrique peut trouver un terrain d’application légitime et une pleine satisfaction.

Que de temps perdu, pour reprendre l’exemple si frappant de l’histoire des origines du christianisme, tant par l’apologétique chrétienne que par la contre-apologétique de ses adversaires; les uns et les autres ont inutilement aggravé le débat, les uns en essayant de faire de l’histoire une « démonstration évangélique » et comme une machine à convertir, les autres en cherchant à établir l’illégitimité d’une adhésion par la foi théologale aux articles historiques du Credo, alors que la critique ne fait qu’en souligner le caractère non, nécessaire et, si l’on veut, improbable (mais la foi chrétienne a toujours impliqué un certain élément, spécifique et essentiel, d’obscurité, « car nous voyons maintenant dans un miroir de façon énigmatique29 » et, quant à la « vraisemblance », elle se présente paradoxalement à la raison comme « scandale » et « folie »30).

J’aimerais conclure ce chapitre en soulignant les conséquences pratiques qui se dégagent de cette analyse. Il y a beaucoup à dire sur l’inconscience vraiment coupable de trop d’historiens à l’égard des servitudes qui limitent la fécondité du travail historique, sur la légèreté impardonnable avec laquelle ils soulèvent comme à plaisir des problèmes dont ils devraient savoir qu’ils sont, pour eux et pour nous, insolubles. Nous ne sommes pas Dieu, nous ne pouvons pas tout savoir: à la différence des sciences de la nature où, dans les limites de l’expérience commune (dans l’intervalle entre l’infiniment grand et l’infiniment petit), il est toujours possible d’augmenter la précision de l’expérience, en histoire la précision s’accroît, bien vite, aux dépens de la certitude.

Soit l’une des questions les plus disputées depuis une génération : la conversion de Constantin; à prendre les choses en gros, on peut tenir pour acquis (dans les limites de la « certitude » historique) qu’après la victoire de Constantin sur Maxence, la politique religieuse de l’empire romain s’est trouvée définitivement engagée, en opposition avec la ligne générale définie par Dioclétien, dans un sens favorable au christianisme, que Constantin lui-même s’est rapidement montré de plus en plus sympathique à cette religion et qu’il est mort baptisé. On peut chercher à aller un peu plus loin, s’efforcer par exemple de dater avec quelque précision (grâce aux documents législatifs et surtout numismatiques) l’apparition des premières manifestations officielles de cette tendance pro-chrétienne. Quant à serrer de plus près l’évolution personnelle de l’empereur lui-même, à savoir s’il a bien eu une vision dans la nuit du 27 au 28 octobre 312 et ce qu’il a vu ou cru voir à ce moment — il est bien vain de s’y efforcer, faute d’une documentation adéquate: nous ne possédons pas sur la cour de Constantin l’équivalent de ce qu’étaient les Éphémérides d’Alexandre (ou, chez les modernes, le Journal de Dangeau), ni sur sa vie intérieure des Confessions de la valeur de celles de saint Augustin (ou de Rousseau).

Il faut savoir reconnaître de bonne grâce nos servitudes à l’égard des documents, mesurer leur portée, savoir ce qu’il est possible d’en tirer (si ingénieux qu’il soit, l’historien ne peut extrapoler indéfiniment le témoignage de ses sources, leur faire dire autre chose que ce qu’elles sont faites pour dire). Nos servitudes aussi à l’égard de la logique, mesurer nos propres forces, ne pas promettre plus que nous ne pouvons tenir, savoir limiter à temps notre curiosité, exercer nos efforts dans les conditions, et les bornes, où ils peuvent réellement se montrer féconds; Mgr Duchesne a su extraire de saint Paul un précepte bon à méditer: « j’aime mieux aller moins loin et marcher avec plus de sécurité », non plus sapere quam oportet sapere sed sapere ad sobrietatem31.


Notes (les notes sont celle du texte de H. I. Marrou)

13. Londres, 1819, souvent réédité.

14. Agen, 1811 (ou 1827); nombreuses éditions; une des premières porte le titre significatif: Le Nouveau Dupuis ou l’Imagination se jouant de la Vérité.

15. Whately applique à plusieurs reprises les règles formulées par Hume dans son Essai sur les miracles (qui fait partie de l’Enquiry concerning human Understanding).

16. Titre d’un mémoire paru en 1179-1780 dans le Journal des savants; sa grande œuvre est l’Origine de tous les cultes ou la Religion universelle, 1795.

17. Traduit en français dans la revue de folklore Mélusine, t. II, p. 73 sq.

18. Car il est difficile de se reconnaître au milieu de cette œuvre immense et confuse, dont la bibliographie est compliquée par l’existence d’éditions subreptices, ou usurpées, de protestations ou de rétractations dont la sincérité est suspecte, etc. Voir par exemple M. Veyssière de la Croze, Vindiciae veterum, scriptorum contra Harduinium, Rotterdam, 1701.

19. Que venait de révéler l’œuvre posthume d’Ant. Bosio, Roma subterranea navissima, Rome, 1651.

20. G. Burnett, Letters (from) Switzerland..., Rotterdam, 1686, au moins cinq éditions en quarante ans; F.-M. Misson, Nouveau Voyage d’Italie, La Haye, 1691, plusieurs éditions et traductions en anglais, allemand, hollandais; P. Zorn, Dissertatio historico-theologica de catacumbis..., Leipzig, 1703.

21. Cf. G. J. Renier, History, its Purpose and Method, p. 134.

22. W. A. Walsh, Introduction to Philosophy of History, p. 96.

23. De l’authenticité des Annales et des Histoires de Tacite, 1890; Nouvelles Considérations au sujet des Annales et des Histoires de Tacite, 1894.

24. Nouvelles Considérations..., p. 211, sq.

25. Études au sujet de la persécution des chrétiens sous Néron, 1885, p. 79-143...

26. Ainsi M. Durry, éd. de Pline le Jeune, Lettres (Livre X), coll. « Budé », 1947, p. 70.

27. Comme je l’écrivais, emporté par la passion polémique, en 1939, Tristesse de l’historien, p. 36.

28. ibid., p. 37; cf. R. Aron, Introduction, p. 88.

29. I Cor., XIII, 12.

30. 1 Cor., T, 23.

31. Préface de son Histoire ancienne de l’Église, t. I, p. XV, citant Rom., XII, 3.

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