152. Extrait de la déposition lue devant le Conseil de l'Université de Berkeley le 14 juin 1949, reproduite in Ernst H. KANTOROWICZ, The Fundamental Issue. Documents and Marginal Notes on the University of California Loyalty Oath, Parker Printings Co., San Francisco, 1950. 153. Pierre VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, op. cit., p. 12-13. 154. Le Monde, 21 mai 1996. 155. Ibid. 156. Ibid.. Madeleine REBERIOUX renouvellerait ses critiques dans un article de la revue L'Histoire, « Faut-il des lois contre les négationnistes ? », in Les Collections de l'Histoire, n° 3, « Auschwitz et la Solution finale », 1998, p. 102-103. Réagissant à la condamnation, le 21 juin 1995, par la 1ère Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris, sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, d'un universitaire américain ayant nié la réalité du génocide arménien (cf. infra), Madeleine REBERIOUX reprocherait au juge d'avoir « pénétré sur le territoire de l'historien » (cité in Yves TERNON, Du négationnisme. Mémoire et tabou, Desclée de Brouwer, 1999, p. 37). 157. Entretien avec André KASPI, mars 2002. 158. Yves TERNON, Du négationnisme, op. cit., p. 37. 159. Décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984 Loi relative à l'enseignement supérieur (Rec., p. 30). 160. Georges VEDEL, « Les libertés universitaires », Revue de l'enseignement supérieur, 1960, cité in Jean IMBERT, « Sur le statut particulier des enseignants (de 1800 à 1980) », RDP 1983, p. 21. 161. Jean MORANGE, Droits de l'homme et libertés publiques, op. cit., p. 362. 162. Cité in France JEANNIN, Le Révisionnisme. Contribution à l'étude du régime juridique de la liberté d'opinion en France, op. cit., p. 104. 163. Cité in Jean IMBERT, « Sur le statut particulier des enseignants (de 1800 à 1980) », op. cit., p. 21. 164. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit dont un sur la crise universitaire, Dalloz, 1969, p. 290. La première Université sera fondée à Bologne dans la seconde moitié du XIIe siècle (cf. André CHEDEVILLE, Jacques LE GOFF et Jacques ROSSIAUD, La ville en France au Moyen Âge, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1998, p. 363), preuve que la naissance et l'essor des Universités est un phénomène européen : l'on ne sera dès lors pas surpris par la convergence des Droits constitutionnels européens sur les principes proclamant les libertés universitaires à l'heure actuelle (voir Yves GAUDEMET, « L'indépendance des professeurs d'Université, principe commun des droits constitutionnels européens », D. 1984, chron., p. 126 et s..). 165. En 1200, PHILIPPE-AUGUSTE confère à cette « corporation » la personnalité morale : les étudiants sont assimilés à des clercs qui échappent au pouvoir royal mais restent soumis à l'Eglise. A partir de 1211, l'Université obtient l'immunité, c'est à dire qu'elle juge elle même les crimes commis par l'un de ses membres qui, une fois condamné, est livré aux autorités royales. A ce privilège de juridiction s'ajoute une immunité territoriale de principe : la police du roi ne peut faire intervenir les forces de l'ordre dans le Quartier latin sans autorisation préalable - néanmoins, PHILIPPE-AUGUSTE n'a guère hésité à envoyer ses agents rue Saint-Jacques pour restaurer l'ordre public... En 1215, le Pape ordonne à la Chancellerie de Notre-Dame de Paris de conférer les grades universitaires à ceux qui en ont été jugés dignes par leurs maîtres - l'Eglise s'abstiendra désormais d'imposer directement ses vues en la matière. A Toulouse, les universitaires refusent de payer l'impôt dès 1380, ouvrant la voie aux exemptions fiscales. Pour une étude globale consacrée à l'Université médiévale, voir Jacques VERGER, Les Universités au Moyen-Âge, PUF, coll. « Quadrige », 1999, ainsi que Léo MOULIN, La vie des étudiants au Moyen-Âge, Albin-Michel, 1991. 166. J.O., Chambre, 18 juin 1879, cité in Louis FAVOREU & Loïc PHILIP, Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, op. cit., p. 578. 167. Séances de la Commission, p. 187, extrait cité par Jacques THERY dans ses conclusions sous CE, Sect., 5 avril 1974, Sieur Leroy, AJDA, 1974, p. 442. 168. ... selon lesquelles l'utile est ce qui fonde les valeurs d'une société, dans l'action comme dans la connaissance. Le terme « utilitarisme » est forgé par BENTHAM en 1781 dans ses Principes de la morale et de la législation. L'utile était ce qui devait satisfaire le plus grand nombre, d'où ces tentatives rationnelles de définition et de classement du bonheur et du plaisir humains. De conflit entre l'individu et le groupe il ne peut être : l'intérêt de l'un est celui de l'autre. Difficile cependant de trouver une cohérence au sein des penseurs de l'utilitarisme : là où un SPENCER recommandait un laissez-faire pratiquement illimité, MILL préconisait un régime juridique attentif au sort des « classes » laborieuses et des pauvres tandis que BENTHAM voulait instaurer le suffrage universel et améliorer la condition sociale et politique des femmes. John AUSTIN reprendra et développera ses désirs de réforme profonde du système judiciaire, vers un assouplissement des peines et des conditions de vie carcérales. Toujours est-il que les théoriciens de cette doctrine se rejoignaient sur ce point : l'Etat ne devait accomplir que ce qui pouvait assurer le bonheur de la population. L'impact de ce courant de pensée, notamment dans les milieux universitaires, s'est révélé durable. Pour une étude globale, voir Catherine AUDARD, Anthologie historique et critique de l'utilitarisme, 3 volumes, PUF, 1999. 169. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit dont un sur la crise universitaire, op. cit., p. 309. 170. Stéphane CAPORAL, « Des libertés universitaires », in Pouvoirs et Libertés. Mélanges offerts à Jacques Mourgeon, op. cit., p. 559. 171. Ibid.. 172. Décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, op. cit.. 173. Décision n° 77-87 DC Liberté d'enseignement (Rec., p. 42) : ce principe était notamment rappelé par l'article 91 de la loi de finances du 31 mars 1931. 174. L'article 3 de la loi précitée, de par l'énonciation claire du fondement des libertés universitaires, sera visiblement inclus dans les textes établissant les motifs de la décision du Conseil Constitutionnel, qui l'intègre dans sa définition de la liberté d'enseignement et du principe d'indépendance des professeurs d'Université. 175. Décision n° 64-27 du 17 mars 1964 (Rec., p. 33). 176. Jacques THERY, conclusions sous CE, Sect., 5 avril 1974, Sieur Leroy, op. cit., p. 442. 177. J.O., Sénat, 27 décembre 1879, p. 11573, cité in Louis FAVOREU & Loïc PHILIP, Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, op. cit., p. 580. 178. Les lois organiques du 15 mars 1849 (article 86), du 30 novembre 1875 (article 9 - confirmation par la loi de finances du 30 décembre 1928), du 6 janvier 1950 (article 11) et l'ordonnance du 24 octobre 1958 portant loi organique (article 12) : quatre Républiques avaient ainsi autorisé les professeurs de l'enseignement supérieur à exercer des mandats parlementaires. 179. Gaston DEFFERRE avait déclaré à l'occasion, résumant l'opinion générale : « Si nous suivions M. Capelle, nous tournerions le dos à une tradition française républicaine de liberté » (J.O., débats, A.N., 1ère séance du 25 novembre 1971, p. 6114). Jean CAPELLE avait cependant estimé trois ans plus tôt qu'« il vient immédiatement à la pensée que les libertés des enseignants, c'est à dire la liberté des personnes et les libertés de la chose enseignée, sont des libertés fondamentales [...] Elles ne sont pas un privilège » (J.O., débats, A.N., 3 octobre 1968, p. 3005). 180. Avis du Conseil d'Etat du 31 octobre 1893, cité in Eugène PIERRE, Traité de droit politique électoral et parlementaire, Librairies et Imprimeries Réunies, 4e édition, 1910, p. 369. 181. Le Monde, 2 décembre 1970. 182. Voir, pour une étude générale, Bernard TOULEMONDE : « Le cumul du mandat parlementaire avec l'exercice de la fonction de professeur de l'enseignement supérieur », RDP 1978, p. 949-998. 183. L'impact de ce jugement sur la jurisprudence du Conseil Constitutionnel a été souligné par Yves GAUDEMET (« L'indépendance des professeurs d'Université... », op. cit., p. 127). Selon le Bundesverfassungsgericht, l'article 5, alinéa 3 de la Loi fondamentale « signifie non seulement que l'enseignant-chercheur a droit à ce que l'Etat ne s'insère pas dans ses recherches et son enseignement et que l'Etat est tenu de mettre à sa disposition les moyens matériels nécessaires à son activité scientifique mais encore que les universités doivent être organisées de telle façon que la liberté de l'enseignement et de la recherche soit sauvegardée. Certes, cette liberté ne peut pas être complète : la participation des autres enseignants, des étudiants et même du personnel administratif et technique à la gestion de l'Université est justifiée dans la mesure même où ils sont concernés par les décisions à prendre. Cependant, les professeurs et maîtres de conférence ont, en raison même de leur qualification et de leur permanence, droit à être plus fortement représentés dans les organismes collégiaux dont les décisions sont particulièrement susceptibles d'affecter leur liberté scientifique (recrutement, conduite de la recherche) » (cité in Jean BOULOUIS, note sous décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, AJDA, 1984, p. 164). Sur cette décision, voir l'analyse de Michel FROMONT, « République fédérale d'Allemagne : les événements internationaux législatifs, jurisprudentiels survenus en 1972 et 1973 », RDP 1975, p. 153 et s.. 184. CE, 29 mai 1992, Association des professeurs du muséum d'histoire naturelle (Leb., p. 217). 185. CE, 29 juillet 1994, Le Calvez, req. n° 66-966. 186. De même sur les questions individuelles, concernant notamment la carrière des enseignants. 187. CE, Sect., 5 avril 1974, Sieur Leroy, op. cit.. 188. Décision n° 94-343-344 DC du 27 juillet 1994, commentée in Louis FAVOREU & Loïc PHILIP, Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, op. cit., p. 854 et s.. ; voir également François LUCHAIRE, « Le Conseil Constitutionnel et l'assistance médicale à procréation », RDP, 1994, p. 1647 et s.. ainsi que Bertrand MATHIEU, « Bioéthique : un juge constitutionnel réservé face aux défis de la science. A propos de la décision n°94-343-344 DC du 27 juillet 1994 », RFDA, 1994, p. 1019 et s.. Sur le principe de dignité, voir infra. 189. La nomination, en février 1999, de Gilles VEINSTEIN à une chaire d'histoire turque et ottomane au Collège de France a reçu le soutien d'une importante majorité d'enseignants et de chercheurs, en dépit de l'intense polémique médiatique ayant trait à la publication par cet historien, moins de quatre ans plus tôt, d'un article niant la réalité du génocide arménien, dans la revue L'Histoire (n° 187, avril 1995, dossier : « Le massacre des Arméniens »). L'annulation de l'élection de Gilles VEINSTEIN, si elle avait été prononcée, aurait constitué, selon ces universitaires, « un précédent redoutable et [aurait pu] encourager les groupes de pression, quel que soit le bien-fondé de la cause qu'ils défendent, à intervenir systématiquement dans la vie des institutions universitaires ». Sur « l'affaire VEINSTEIN », voir Yves TERNON, Du négationnisme, op. cit.. 190. L'exemple de Serge THION (« le plus infâme, le plus pervers parce que le plus intelligent des négateurs des chambres à gaz hitlériennes » selon Pierre VIDAL-NAQUET - Mémoires, tome 2, Le Trouble et la Lumière 1955-1998, Seuil/La Découverte, p. 194), illustre les dérives ci-dessus rappelées. Chercheur en sociologie au CNRS, Serge THION se rallie à Robert FAURISSON en 1980 et se met à propager une doxa antisémite, s'investissant dans la diffusion des thèses négationnistes sur internet au tournant des années 1990, en tant que co-responsable du site antisémite Aaargh (« Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d'Holocauste ») et usant à ses débuts de son compte internet fourni par le CNRS - voir Gilles KARMASYN, en collaboration avec Gérard PANCZER et Michel FINGERHUT, « Le négationnisme sur Internet. Genèse, stratégies, antidotes », Revue d'Histoire de la Shoah, n° 170, octobre 2000, p. 46-49. Dès 1999, l'affaire suscite de nombreux remous, tant au CNRS que chez les associations antiracistes, aboutissant à ce que le 4 juillet 2000, la Commission administrative paritaire des personnels chargés de recherche du CNRS, qui réunit des représentants de l'administration et des syndicats, vote à l'unanimité la révocation de Serge THION - vote qui sera confirmé par la décision de la directrice générale de l'institution, Geneviève BERGER, en date du 4 octobre 2000, et entrée en vigueur le 1er novembre de la même année. Sur tous ces éléments, l'on prendra avec intérêt connaissance de l'enquête réalisée par le site Amnistia.net : ici. 191. Le traducteur et éditeur négationniste, Jean PLANTIN, obtiendra mention « très bien » pour un mémoire de maîtrise consacré (favorablement) à Paul RASSINIER en 1990 et soutenu à l'Université de Lyon III - Jean PLANTIN avait également obtenu un DEA pour son mémoire consacré aux épidémies de typhus exanthématique dans les camps de concentration nazis (1933-1945) à Lyon II en 1991. Les diplômes de Jean PLANTIN feront l'objet d'une mesure d'annulation en 2001. Jean PLANTIN sera également condamné, en vertu de l'article 24bis de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, par la Cour d'Appel de Lyon le 21 juin 2000 (confirmation par Cass. Crim. 13 mars 2001). Voir l'enquête réalisée par le site Amnistia.net, Les Eichmann de papier : ici. 192. L'« affaire de la thèse de Nantes » est à cet égard révélatrice. Henri ROQUES, ingénieur agronome à la retraite et militant d'extrême droite, avait réussi, en 1985, à soutenir une thèse de doctorat consacrée à l'étude de la déposition de l'officier SS Kurt GERSTEIN. Marchant sur les traces de RASSINIER, Henri ROQUES était parvenu à obtenir un jury marqué à l'extrême droite. Que la « thèse » en question ait largement suivi la méthodologie négationniste déjà exposée a été démontré par Georges WELLERS, « A propos d'une thèse de doctorat explosive », Le Monde juif, mars 1986, p. 1-18, et Pierre BRIDONNEAU, Oui, il faut parler des négationnistes, Editions du Cerf, 1997. Le retentissement du scandale était tel qu'il avait fallu faire appel au Droit pour conjurer la crise : la « thèse de Nantes » sera annulée pour vice de forme par décision de l'administrateur provisoire de l'Université de Nantes le 3 juillet 1986. Le jugement (fort complexe) du Tribunal administratif de Nantes en date du 18 janvier 1988 confirmera la légalité de cette décision : voir TA Nantes, 18 janvier 1988, AJDA, 1988, p. 287-290, note Joël-Yves PLOUVIN et Revue juridique de l'Ouest 1988, n° 1, p. 7-32, note Didier TRUCHET. Le Conseil d'Etat, par décision du 10 février 1992, rejettera la requête en annulation d'Henri ROQUES. Pour un compte-rendu historique de « l'affaire ROQUES », voir Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., et pour un examen juridique exhaustif, l'on se référera à France JEANNIN, Le révisionnisme. Contribution à l'étude du régime juridique de la liberté d'expression en France, op. cit., p. 113-130. 193. Bernard NOTIN avait publié un article négationniste dans le 8e numéro d'Economies et sociétés (revue éditée par le CNRS) paru début janvier 1990. La décision de suspension sera annulée par le Conseil d'Etat (CE, 19 mai 1993, Notin, Leb., p. 161) : « considérant qu'en se référant globalement à la publication de cet article signé par M. Notin, sans préciser ni analysé quels passages excédaient les limites de la liberté d'expression des enseignants-chercheurs, et sans qualifier la nature et la gravité des fautes commises dans chaque cas par l'auteur, la décision attaquée est entachée d'une insuffisance de motivation ». Une nouvelle décision de suspension sera prise par le CNESER le 22 mars 1994 - le Conseil d'Etat en confirmera la légalité (CE, Sect., 28 septembre 1998, Notin, req. n° 159236). Voir Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., p. 428-434 et France JEANNIN, Le révisionnisme, op. cit., p. 130-139.

La « loi GAYSSOT » et la Constitution

Nicolas Bernard

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Chap. II - La Liberté de recherche ou de falsifier?
1. Les libertés universitaires

Chapitre II. Liberté de recherche ou liberté de falsifier ?

Seuls le prêtre, le juge et l'universitaire peuvent porter la robe, signe de leur maturité d'esprit, de leur indépendance de jugement et de leur directe responsabilité devant leur conscience et devant leur Dieu. La robe traduit la souveraineté intérieure de ces trois métiers si étroitement liés : ils seront les derniers à se permettre d'agir sous la contrainte et de céder aux pressions.
Ernst Kantorowicz152
 
Il y aurait [...] les « partisans de l'existence des "chambres à gaz homicides" » et les autres, comme il y a des partisans de la chronologie haute et de la chronologie basse pour les tyrans de Corinthe, comme il y a à Princeton et à Berkeley deux écoles qui se disputent pour savoir ce que fut, vraiment, le calendrier attique. Quand on sait comment travaillent MM. Les révisionnistes, cette idée a quelque chose d'obscène.
Pierre Vidal-Naquet153

S'agissant de l'article 24bis, Madeleine REBERIOUX, historienne réputée et présidente d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme, peu suspecte de sympathies négationnistes, contestait sa légitimité en ce qu'« il confie à la loi ce qui est de l'ordre du normatif et au juge chargé de son application la charge de dire l'histoire alors que l'idée de vérité historique récuse toute autorité officielle. L'URSS a payé assez cher son comportement en ce domaine pour que la République française ne marche pas sur ses traces »154. Crainte en découlant : « il entraîne quasi-inéluctablement son extension un jour à d'autres domaines qu'au génocide et autres atteintes à ce qui sera baptisé "vérité historique" »155. Et Mme REBERIOUX de reprocher à l'article 24bis d'offrir un moyen, aux négationnistes, de « se présenter comme des martyrs »156. Il importe peu, pour le moment, de discuter de la pertinence (ou plutôt de l'absence de pertinence) de ces remarques : elles témoignent cependant d'un malaise pour le moins répandu chez les historiens à l'égard de la « loi GAYSSOT ». Nombreux sont, en effet, les membres de cette profession à ne guère apprécier ce texte de loi qui, à leurs yeux, constitue une immixtion excessive du pouvoir judiciaire sur le champ d'études historiques157. L'article 24bis constituerait par voie de conséquent une atteinte à la liberté de l'historien, du chercheur, de l'enseignant, de l'universitaire. Selon Yves TERNON, cette prise de position de la communauté des historiens correspond « à un souci légitime et primordial de préserver l'indépendance de l'Université devant le pouvoir politique »158.

La question a d'autant plus d'importance que le Conseil Constitutionnel a affirmé, par décision du 20 janvier 1984159, que l'indépendance des professeurs d'université était un principe fondamental reconnu par les lois de la République. De par leur rôle dans la formation des opinions des citoyens et l'étude scientifique, les universitaires bénéficieraient ainsi d'une liberté d'expression renforcée, dont le corollaire, la libre recherche scientifique, la liberté de l'historien en étant l'illustration, a été consacré par la loi du 26 janvier 1984 (article 4). Cependant, ce problème en soulève un autre, celui de la définition du négationnisme : s'agit-il de considérer ce dernier comme étant une « école historique » pouvant faire entendre son « point de vue » fondé sur une prétendue « recherche scientifique » ? Ou y a-t-il des bornes que l'historien, du moins celui se prétendant comme tel, ne peut franchir, au nom du respect des droits et libertés d'autrui ? Dans cette hypothèse, revient-il au juge de « dire l'histoire » ? Discuter de la constitutionnalité de l'article 24bis revient à se poser la question de savoir si la liberté de l'historien doit tolérer des limites tout en évoquant la controverse portant sur le rôle de la Justice dans le domaine historique et de l'Histoire dans le prétoire. Les libertés universitaires, quoique consacrées, ont ainsi rencontré certaines limites encore assez mal dégagées (I). L'on constate dans le même temps une tendance générale à une responsabilisation de l'historien, particulièrement en matière d'événements extrêmement douloureux de notre Histoire (II).

L'Université ne doit pas devenir le terreau des « faussaires de l'Histoire ». Les privilèges universitaires, destinés à conforter la mission de recherche et d'éducation de leurs titulaires, n'ont pas à protéger une entreprise de falsification et de perversion des esprits. L'historien est soumis à certain comportement déontologique, méthodologique à l'égard des sources qu'il étudie : en viendrait-il à se distancer de ces impératifs qu'il n'agirait plus en qualité d'historien, mais au nom d'autres motivations qui n'ont plus guère rapport avec le champ d'étude historique. De ce fait, il n'a plus à jouir de cette protection particulière qui fait l'honneur et le fondement de sa corporation.  

II-1 Un corollaire de la liberté d'expression : les libertés universitaires face au négationnisme

Les universitaires sont libres ; l'Université est libre.
Georges VEDEL160

Recherche et enseignement sont par principe libres au sein d'une démocratie libérale. Les exemples historiques abondent en perversions de la Science et de l'Histoire en tant que disciplines par les régimes autoritaires pour mieux asseoir leur suprématie. L'Université est le lieu où s'épanouit cette liberté, sa mission essentielle étant de dispenser un enseignement censé former les esprits libres, « favoriser une recherche libre et désintéressée »161 (1). L'étendue de cette liberté n'est pas illimitée : chercheurs et enseignants doivent en effet se conformer aux principes de tolérance et d'objectivité (2).  

II-1.1 Libertés d'enseignement et de recherche : des fondements traditionnels à la consécration constitutionnelle

Suite à l'éclatement de « l'affaire FAURISSON », le professeur de lettres lyonnais s'était vu suspendre pour une période de trente jours à compter du 30 novembre 1978 par le président de l'Université de Lyon II - et avait pu de nouveau effectuer ses cours au terme de ce délai. Aux inquiétudes exprimées par le député et futur sénateur Emmanuel HAMEL le 23 mai 1979 à l'Assemblée nationale quant au danger présenté par la présence de Robert FAURISSON au sein de la Faculté, le ministre des Universités, Mme Alice SAUNIER-SEITE formulera la réponse suivante : « Monsieur le député, je comprends votre émotion, votre indignation, et votre préoccupation [...] Si M. Faurisson [...] a repris ses cours, c'est parce que les lois de la République le lui permettaient »162. Déclaration peu surprenante, au vu du régime juridique de l'enseignement supérieur. Car le principe veut que l'Université soit libre. Et l'enseignant n'est pas un fonctionnaire comme les autres, ainsi que l'a relaté Jean RIVERO : « mis à part les magistrats, il n'est sans doute pas de fonctionnaires publics en France qui bénéficient d'un statut plus protecteur que le professeur »163.

Cette plus grande - mais non pas illimitée - liberté d'expression accordée aux membres du corps universitaire résulte il est vrai d'une tradition vieille de plusieurs siècles. Rome même accordait large autonomie à l'enseignement supérieur - l'instauration du christianisme comme religion d'Etat devant mettre fin à cet état de fait, la culture classique des maîtres païens, interdits d'enseignement, étant nettement supérieure à celle de leurs homologues chrétiens. L'Eglise, à la suite de l'Etat, s'en arrogera le monopole. Il faut attendre le XIIe siècle pour voir apparaître véritablement le concept d'universitas, une communauté indépendante (sinon autonome) du pouvoir ecclésiastique et du pouvoir royal : professeurs et étudiants s'attacheraient à obtenir du Pape l'exemption, c'est à dire, selon le mot de Michel VILLEY, « le droit de respirer tranquilles et de s'organiser librement sous le seul contrôle lointain du Pape, de former une universitas. C'est le sceau de naissance de l'Université »164. Les enseignants ont obtenu le droit des évêques d'enseigner, la licentia docendi : il s'agit pour eux de vivre de cette nouvelle activité qui sort du cadre monastique et épiscopal. A cet effet, maîtres et étudiants s'unissent en une universitas magistrorum et scholiarum parisiensium (« communauté des maîtres et des étudiants parisiens »). S'engage une longue lutte pour l'établissement et le maintien de cette indépendance, lutte qui aboutira à obtenir aux XIIIe et XIVe siècle toute une ensemble de garanties d'autonomie : reconnaissance de la personnalité morale, privilèges de juridiction, immunité territoriale, exemptions fiscales, système de nomination propre165... Les universités se développent et deviennent rapidement un haut lieu d'exégèse et de débats intellectuels. L'on voit surtout que ces libertés universitaires, telles qu'elles seront reconnues ultérieurement, pour la plupart, sont issues de l'ère médiévale. D'origine pragmatique, elles trouveront ensuite leur justification dans la nécessaire vivacité intellectuelle de ces lieux de savoir, et le poids de la tradition ne pourra que s'imposer à l'Etat moderne et aux Constitutions.

Corporation, l'Université sera supprimée par la Révolution et rétablie sous l'Empire par la loi du 10 mai 1806 - il n'en est cependant pas de même pour ses libertés, puisque l'Université impériale pratique théoriquement le monopole d'enseignement et demeure soumise à un Grand Maître, titre qui sera supprimé à la Restauration. Mais le libéralisme universitaire ne sera pas oublié par la IIIe République, qui en fera l'un de ses principes fondamentaux, cette fois au nom de la liberté d'expression, comme le montre le député Paul BERT au cours des débats relatifs à la liberté de l'enseignement supérieur, le 18 juin 1879 : « C'est à la Révolution qu'apparaît la thèse de la liberté de l'enseignement. Elle est implicitement contenue dans la Déclaration des droits de 1791 ; elle est formellement inscrite dans la législation par le décret du 29 frimaire an II, dont l'article 1er porte : « L'Enseignement est libre ». La liberté d'enseignement, de droit naturel, telle que l'entendait la Révolution, telle que nous l'entendons, consiste à laisser exprimer ses pensées librement. Donc, toute liberté doit être donnée, toutes facilités doivent être laissées par la loi à celui qui, publiquement, s'adresse à des citoyens semblables à lui, à des esprits faits, mûrs, qui leur expose certaines doctrines, certaines théories, tend à les enrôler dans certaines parties scientifiques, littérales ou doctrinales »166.

Le Président de la Commission de la Constitution de la première Assemblée nationale constituante élue en octobre 1945 reconnaîtra également que la liberté d'enseignement, « c'est aussi la liberté pour tout homme d'enseigner ce qu'il considère comme conforme à la vérité ; c'est la garantie de la liberté du maître dans l'exercice de sa fonction. Cette liberté très limitée dans son exercice en ce qui concerne l'enseignement primaire, l'est moins dans le secondaire, et est à peu près totale dans le supérieur, là où le maître s'adresse non plus à des enfants infiniment malléables, mais à des adultes ayant déjà une personnalité affirmée »167. Se trouve ici l'un des fondements de cette liberté, telle qu'elle sera consacrée par le Conseil Constitutionnel par sa décision précitée du 20 janvier 1984.

Cette décision du 20 janvier 1984 ne peut s'analyser sans le rappel de cette mutation de la fonction professorale. Depuis l'ère médiévale, les fonctions du Maître ont en effet évolué davantage que celles de l'étudiant : sous l'influence des doctrines utilitaristes des XVIIIe et XIXe siècles168, l'Université tend à se considérer comme devant « servir à la bonne marche de l'économie, former des cadres conditionnés aux besoins de la conjoncture et faire de la recherche pour le mieux-être matériel de tous »169. « Le maître cède la place au savant convaincu d'oeuvrer pour le progrès d'une science qu'il prétend affubler d'une majuscule, fait remarquer Stéphane CAPORAL. La maîtrise d'un savoir de plus en plus spécialisé, dans lequel on finit par s'enfermer, confère à son titulaire une légitimité scientifique. C'est la voie de la spécialisation qui permet de s'assurer le monopole d'un champ disciplinaire qu'au besoin on aura créé artificiellement sans considération de son intérêt véritable ni de la vie de la communauté, mais tout au plus de son utilité brandie comme justification »170. Nul hasard si le terme d'enseignant-chercheur se substituera à celui de « Maître »171, preuve d'une consécration des fondements utilitaires des libertés universitaires : pédagogiques sont les finalités de la liberté d'enseignement, scientifiques celles de la liberté de recherche. L'Université doit contribuer au progrès social.

C'est sans doute là le fondement de la décision du Conseil Constitutionnel du 20 janvier 1984 parlant, à propos de l'enseignement supérieur, de « service public » - de même la loi du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur évoque un service public « laïc et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique » (article 3). La loi, selon le Conseil Constitutionnel, « ne saurait limiter le droit à la libre communication des pensées et des opinions garanti par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que dans la seule mesure des exigences du service public en cause »172. Sur le fondement du principe de la liberté de l'enseignement, principe fondamental reconnu par les lois de la République173, ce service public, d'après l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 précitée, « tend à l'objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique »174. Ses membres sont-ils pour autant des agents soumis au régime de droit commun de la Fonction publique ? Ils bénéficient à dire vrai, conséquence de l'Histoire et des conceptions universitaires en découlant, d'une liberté plus grande que les autres fonctionnaires. Le service public considéré était en soi particulier, au point que M. THERY pouvait écrire : « La spécificité de ce service tient à la nature des prestations qu'il fournit : transmission de la culture, initiation au savoir et éveil des consciences, communication d'informations, d'idées et de valeurs. De ce point de vue on serait presque tenté de dire de l'enseignement, notamment de l'enseignement supérieur, ce que le Conseil Constitutionnel disait de la radiotélévision française dans sa décision des 17-19 mars 1964175 quand il déduisait de ce qu'elle a pour objet notamment la communication des idées et des informations qu'elle intéresse ainsi une des libertés publiques dont les garanties fondamentales relèvent de l'article 34 »176.

De ce point de vue, l'enseignant-chercheur, du moins le professeur d'université, se doit de bénéficier d'une certaine marge de manoeuvre dans l'enseignement qu'il dispense aux étudiants. Sa formation, son savoir y concourent. Ainsi se trouvent combinés la tradition et le bloc de constitutionnalité français : pour former des esprits libres, pour stimuler les activités intellectuelles, l'enseignement doit également être libre. Une garantie est offerte - le principe d'indépendance des professeurs d'université.  

II-1.2 Garanties et étendue des libertés universitaires

Garantir la liberté d'enseignement, garantir la liberté de recherche ne peuvent être effectifs qu'à la condition de proclamer la valeur constitutionnelle du principe d'indépendance des professeurs d'université. Ce qui ne leur confère nullement une liberté totale et absolue : l'exemple du négationnisme en est un exemple pour le moins récent.

L'indépendance des professeurs d'université, un acquis datant du Moyen-Âge, pouvait difficilement être négligée par le Droit français d'une part, par le Conseil Constitutionnel d'autre part. Sa décision du 20 janvier 1984 proclame que « la garantie de l'indépendance [des professeurs d'université] résulte en outre d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République et notamment par les dispositions relatives à la réglementation des incompatibilités entre le mandat parlementaire et les fonctions publiques ». Il est vrai qu'il s'agissait là d'une franchise universitaire majeure : la possibilité offerte aux professeurs d'université d'exercer un mandat parlementaire était l'une des rares dérogations au régime des incompatibilités prévues pour les fonctionnaires publics. Ainsi que l'avait expliqué Jules SIMON dans son rapport fait au nom de la commission sénatoriale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la liberté de l'enseignement supérieur de 1879, « la capacité, comme l'impartialité du professeur de l'Etat résulte de son grade, de sa carrière toujours surveillée et toujours connue, des formes de sa nomination à laquelle concourent les plus grandes autorités scientifiques et universitaires, enfin, de l'inamovibilité dont il est investi »177.

Quatre lois organiques promulguées sous les IIe, IIIe, IVe et Ve Républiques avaient expressément instauré cette dérogation178 : un amendement du recteur CAPELLE avait proposé, en 1971, de supprimer cette exception - il sera rejeté par la majeure partie du Parlement179. L'idée repose sur le principe que les professeurs, « ne devant leur nomination qu'à eux mêmes, échappent à toute suspicion dans la mission de contrôle qu'ils sont appelés à exercer en tant que députés sur les actes du gouvernement »180. Le doyen VEDEL avait également précisé que le professeur, en tant que fonctionnaire, « n'a pas besoin d'abandonner sa chaire pour conserver cette totale liberté à l'égard du pouvoir qui doit être le statut fondamental du représentant de la Nation »181. Consécration de la liberté d'expression : le professeur d'université jouit d'un statut si extraordinaire qu'il peut faire entendre sa voix dans l'hémicycle parlementaire182... La conséquence en est qu'à cumul des fonctions correspond cumul des rémunérations : pour être libre de son temps, l'universitaire se doit de bénéficier les moyens financiers nécessaires.

Toujours est-il que le principe d'indépendance était reconnu au sein du bloc de constitutionnalité français. Le Conseil Constitutionnel ne faisait que s'aligner sur la jurisprudence constitutionnelle européenne, notamment la décision du Tribunal constitutionnel fédéral allemand (Bundesverfassungsgericht) du 29 mai 1973, qui avait - différence de méthode avec le Conseil Constitutionnel - fondé le principe d'indépendance sur la disposition de la Loi fondamentale relative à la liberté d'enseignement183. A cette unification européenne s'ajoute une unification juridique interne, puisque le Conseil d'Etat a adopté la même position que le Conseil Constitutionnel184. La valeur constitutionnelle du principe, cependant, ne vaut que pour les professeurs d'université, non les autres catégories d'enseignants comme par exemple les maîtres de conférences185. Néanmoins, cette garantie offre une assez large légitimité à l'ensemble du corps enseignant des Universités. Et le Conseil Constitutionnel reconnaît l'existence de l'indépendance des enseignants-chercheurs.

Au nom de ces principes régissant le corps enseignant, le Conseil Constitutionnel censurera l'article 29 de la loi de 1984 prévoyant que le pouvoir disciplinaire serait exercé par le Conseil d'Administration, l'élection de ses membres étant faite par une un collège électoral unique, ce qui ne pouvait que mettre les professeurs en minorité face aux autres enseignants : « l'indépendance des professeurs serait menacée à divers points de vue par le système ainsi instauré », estimera le juge constitutionnel. Les professeurs, en effet, n'exerçaient pas le contrôle requis sur l'organe disciplinaire186. L'indépendance de ces derniers, de même l'indépendance des autres enseignants-chercheurs, était ainsi remise en cause. Or, selon le Conseil, « l'indépendance des enseignants-chercheurs ayant une autre qualité suppose, pour chacun de ces deux ensembles, une représentation propre et authentique dans les conseils de la communauté universitaire ». Le Conseil d'Etat avait déjà reconnu que le principe d'indépendance interdisait de soumettre le déroulement de la carrière des personnels de l'enseignement supérieur au contrôle des étudiants187. Cela étant dit, cette liberté pour le moins étendue n'est pas sans limite.

L'on pouvait déjà le lire dans la décision du 20 janvier 1984, se référant à ce qui serait la loi du 26 janvier : « les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissant d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et dans les activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions de la présente loi, les principes de tolérance et d'objectivité ». Il peut paraître surprenant que le Conseil Constitutionnel ait considéré comme des restrictions apportées à la liberté d'expression ces principes de tolérance et d'objectivité, principes qui, loin de limiter les libertés de l'universitaires, ne font que les enrichir. Cependant, l'on ne saurait oublier que ces limites à la liberté d'expression universitaire trouvent leurs fondements dans les finalités mêmes du service public de l'enseignement supérieur, à savoir favoriser la recherche et assurer l'éducation des étudiants. De même la liberté de recherche ne doit pas déboucher sur des atteintes au principe de dignité humaine : la décision Bioéthique du 27 juillet 1994 l'avait confirmé188. Les libertés universitaires, telles que proclamées par le bloc de constitutionnalité, se sont ainsi heurtées à la délicate question du négationnisme. Les adeptes du « révisionnisme historique » (sic) cherchent en effet à infiltrer les milieux de l'enseignement et de la recherche pour mieux distiller leur propagande, cherchant un auditoire et une reconnaissance en tant qu'école historique. Ce discours, on l'a vu, n'a de scientifique que l'apparence et vise à réhabiliter le nazisme tout en renfermant un corpus de mensonges antisémites. Comment doit-il alors être pris en compte par l'Université ? Une sanction du discours négationniste ne porterait-il pas une atteinte excessive aux libertés universitaires ?

La réponse est négative. Le Droit français et même l'Université, non sans certaines réserves189, ont admis que les franchises universitaires ne pouvaient aucunement protéger les « falsifications de l'Histoire » mises au service d'une rhétorique de haine qui ne répond nullement aux idéaux de progrès qui sont ceux des Universités. Des sanctions diverses ont été prises à l'encontre d'enseignants et de chercheurs contestant la réalité du génocide juif. Les scandales suscitées par « l'affaire FAURISSON », « l'affaire ROQUES », « l'affaire NOTIN », « l'affaire PLANTIN », « l'affaire THION » avaient, il est vrai, révélé l'ampleur de la pénétration négationniste dans les milieux de l'enseignement et de la recherche, au point que, comme on l'a vu, une commission d'enquête sera réunie à l'instigation du Ministre de la Culture en février 2002 pour apporter des éclaircissements relatifs à l'infiltration négationniste au sein de l'Université Lyon III. Dans le même temps, nombreux sont ceux qui dénoncent le laxisme des instances dirigeantes, laxisme qui aurait assuré l'impunité des essayistes négationnistes et expliquerait la relative lenteur avec laquelle le pouvoir disciplinaire a exercé ses prérogatives190. Une thèse, un mémoire de DEA et un mémoire de maîtrise ouvertement négationnistes seront ainsi d'abord validés, puis, face au scandale, feront l'objet d'une procédure d'annulation191 qui parfois ne brillera pas par sa limpidité192.

Des mesures de suspension seront de même prises pour sanctionner des enseignants-chercheurs partisans de la doctrine négationniste. Outre Serge THION, révoqué du CNRS, Bernard NOTIN, maître de conférences en sciences économiques à l'Université de Lyon III, sera suspendu deux ans par décision du Centre national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) statuant en matière disciplinaire le 15 mars 1991193 puis par décision du 22 mars 1994. Selon le Conseil d'Etat dans un arrêt confirmatif de 1998, « en relevant notamment, après en avoir cité des extraits, que, d'une part, M. Notin contribuait à la campagne négationniste, en s'appuyant exclusivement sur des arguments non scientifiques, en écartant au contraire tous les travaux historiques, et en mettant en cause la rigueur des témoins et survivants des chambres à gaz [sic] ainsi que celle des historiens et, d'autre part, qu'il soutenait également avec véhémence des thèses racistes et antisémites, le CNESER s'est livré à une appréciation souveraine des pièces du dossier qui n'est pas entachée de dénaturation ; qu'il a pu légalement en déduire que M. Notin avait manqué aux obligations de tolérance et d'objectivité imposées par les dispositions précitées de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 ». Décision importante, qui confirme en premier lieu que le discours négationniste n'est pas intégré dans le régime protecteur des franchises universitaires : le Conseil d'Etat laisse néanmoins, sous un contrôle pour le moins libéral et ne négligeant nullement les droits de l'enseignant faisant l'objet d'une mesure de suspension, l'Université agir par elle-même.

La liberté d'expression des universitaires n'est ainsi ni absolue, ni dénuée de limites. Parce que vecteurs de la diffusion du savoir, de la connaissance, de la formation de l'esprit critique, les enseignants-chercheurs se doivent de répondre à une déontologie conforme à leurs fonctions. Ils ne peuvent pervertir ces libertés au nom d'une idéologie qui, sous un masque scientifique, constitue une falsification de l'Histoire et une apologie du national-socialisme. Il est vrai que la responsabilité de l'historien du fait de ses oeuvres était admise en Droit français. S'écarter du comportement que tout chercheur, que tout enseignant, que tout historien doit adopter revient à s'éloigner du domaine protégé par la Constitution et par la loi.

       


Notes.

152. Extrait de la déposition lue devant le Conseil de l'Université de Berkeley le 14 juin 1949, reproduite in Ernst H. KANTOROWICZ, The Fundamental Issue. Documents and Marginal Notes on the University of California Loyalty Oath, Parker Printings Co., San Francisco, 1950.

153. Pierre VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, op. cit., p. 12-13.

154. Le Monde, 21 mai 1996.

155. Ibid.

156. Ibid.. Madeleine REBERIOUX renouvellerait ses critiques dans un article de la revue L'Histoire, « Faut-il des lois contre les négationnistes ? », in Les Collections de l'Histoire, n° 3, « Auschwitz et la Solution finale », 1998, p. 102-103. Réagissant à la condamnation, le 21 juin 1995, par la 1ère Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris, sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, d'un universitaire américain ayant nié la réalité du génocide arménien (cf. infra), Madeleine REBERIOUX reprocherait au juge d'avoir « pénétré sur le territoire de l'historien » (cité in Yves TERNON, Du négationnisme. Mémoire et tabou, Desclée de Brouwer, 1999, p. 37).

157. Entretien avec André KASPI, mars 2002.

158. Yves TERNON, Du négationnisme, op. cit., p. 37.

159. Décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984 Loi relative à l'enseignement supérieur (Rec., p. 30).

160. Georges VEDEL, « Les libertés universitaires », Revue de l'enseignement supérieur, 1960, cité in Jean IMBERT, « Sur le statut particulier des enseignants (de 1800 à 1980) », RDP 1983, p. 21.

161. Jean MORANGE, Droits de l'homme et libertés publiques, op. cit., p. 362.

162. Cité in France JEANNIN, Le Révisionnisme. Contribution à l'étude du régime juridique de la liberté d'opinion en France, op. cit., p. 104.

163. Cité in Jean IMBERT, « Sur le statut particulier des enseignants (de 1800 à 1980) », op. cit., p. 21.

164. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit dont un sur la crise universitaire, Dalloz, 1969, p. 290. La première Université sera fondée à Bologne dans la seconde moitié du XIIe siècle (cf. André CHEDEVILLE, Jacques LE GOFF et Jacques ROSSIAUD, La ville en France au Moyen Âge, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1998, p. 363), preuve que la naissance et l'essor des Universités est un phénomène européen : l'on ne sera dès lors pas surpris par la convergence des Droits constitutionnels européens sur les principes proclamant les libertés universitaires à l'heure actuelle (voir Yves GAUDEMET, « L'indépendance des professeurs d'Université, principe commun des droits constitutionnels européens », D. 1984, chron., p. 126 et s..).

165. En 1200, PHILIPPE-AUGUSTE confère à cette « corporation » la personnalité morale : les étudiants sont assimilés à des clercs qui échappent au pouvoir royal mais restent soumis à l'Eglise. A partir de 1211, l'Université obtient l'immunité, c'est à dire qu'elle juge elle même les crimes commis par l'un de ses membres qui, une fois condamné, est livré aux autorités royales. A ce privilège de juridiction s'ajoute une immunité territoriale de principe : la police du roi ne peut faire intervenir les forces de l'ordre dans le Quartier latin sans autorisation préalable - néanmoins, PHILIPPE-AUGUSTE n'a guère hésité à envoyer ses agents rue Saint-Jacques pour restaurer l'ordre public... En 1215, le Pape ordonne à la Chancellerie de Notre-Dame de Paris de conférer les grades universitaires à ceux qui en ont été jugés dignes par leurs maîtres - l'Eglise s'abstiendra désormais d'imposer directement ses vues en la matière. A Toulouse, les universitaires refusent de payer l'impôt dès 1380, ouvrant la voie aux exemptions fiscales. Pour une étude globale consacrée à l'Université médiévale, voir Jacques VERGER, Les Universités au Moyen-Âge, PUF, coll. « Quadrige », 1999, ainsi que Léo MOULIN, La vie des étudiants au Moyen-Âge, Albin-Michel, 1991.

166. J.O., Chambre, 18 juin 1879, cité in Louis FAVOREU & Loïc PHILIP, Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, op. cit., p. 578.

167. Séances de la Commission, p. 187, extrait cité par Jacques THERY dans ses conclusions sous CE, Sect., 5 avril 1974, Sieur Leroy, AJDA, 1974, p. 442.

168. ... selon lesquelles l'utile est ce qui fonde les valeurs d'une société, dans l'action comme dans la connaissance. Le terme « utilitarisme » est forgé par BENTHAM en 1781 dans ses Principes de la morale et de la législation. L'utile était ce qui devait satisfaire le plus grand nombre, d'où ces tentatives rationnelles de définition et de classement du bonheur et du plaisir humains. De conflit entre l'individu et le groupe il ne peut être : l'intérêt de l'un est celui de l'autre. Difficile cependant de trouver une cohérence au sein des penseurs de l'utilitarisme : là où un SPENCER recommandait un laissez-faire pratiquement illimité, MILL préconisait un régime juridique attentif au sort des « classes » laborieuses et des pauvres tandis que BENTHAM voulait instaurer le suffrage universel et améliorer la condition sociale et politique des femmes. John AUSTIN reprendra et développera ses désirs de réforme profonde du système judiciaire, vers un assouplissement des peines et des conditions de vie carcérales. Toujours est-il que les théoriciens de cette doctrine se rejoignaient sur ce point : l'Etat ne devait accomplir que ce qui pouvait assurer le bonheur de la population. L'impact de ce courant de pensée, notamment dans les milieux universitaires, s'est révélé durable. Pour une étude globale, voir Catherine AUDARD, Anthologie historique et critique de l'utilitarisme, 3 volumes, PUF, 1999.

169. Michel VILLEY, Seize essais de philosophie du droit dont un sur la crise universitaire, op. cit., p. 309.

170. Stéphane CAPORAL, « Des libertés universitaires », in Pouvoirs et Libertés. Mélanges offerts à Jacques Mourgeon, op. cit., p. 559.

171. Ibid..

172. Décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, op. cit..

173. Décision n° 77-87 DC Liberté d'enseignement (Rec., p. 42) : ce principe était notamment rappelé par l'article 91 de la loi de finances du 31 mars 1931.

174. L'article 3 de la loi précitée, de par l'énonciation claire du fondement des libertés universitaires, sera visiblement inclus dans les textes établissant les motifs de la décision du Conseil Constitutionnel, qui l'intègre dans sa définition de la liberté d'enseignement et du principe d'indépendance des professeurs d'Université.

175. Décision n° 64-27 du 17 mars 1964 (Rec., p. 33).

176. Jacques THERY, conclusions sous CE, Sect., 5 avril 1974, Sieur Leroy, op. cit., p. 442.

177. J.O., Sénat, 27 décembre 1879, p. 11573, cité in Louis FAVOREU & Loïc PHILIP, Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, op. cit., p. 580.

178. Les lois organiques du 15 mars 1849 (article 86), du 30 novembre 1875 (article 9 - confirmation par la loi de finances du 30 décembre 1928), du 6 janvier 1950 (article 11) et l'ordonnance du 24 octobre 1958 portant loi organique (article 12) : quatre Républiques avaient ainsi autorisé les professeurs de l'enseignement supérieur à exercer des mandats parlementaires.

179. Gaston DEFFERRE avait déclaré à l'occasion, résumant l'opinion générale : « Si nous suivions M. Capelle, nous tournerions le dos à une tradition française républicaine de liberté » (J.O., débats, A.N., 1ère séance du 25 novembre 1971, p. 6114). Jean CAPELLE avait cependant estimé trois ans plus tôt qu'« il vient immédiatement à la pensée que les libertés des enseignants, c'est à dire la liberté des personnes et les libertés de la chose enseignée, sont des libertés fondamentales [...] Elles ne sont pas un privilège » (J.O., débats, A.N., 3 octobre 1968, p. 3005).

180. Avis du Conseil d'Etat du 31 octobre 1893, cité in Eugène PIERRE, Traité de droit politique électoral et parlementaire, Librairies et Imprimeries Réunies, 4e édition, 1910, p. 369.

181. Le Monde, 2 décembre 1970.

182. Voir, pour une étude générale, Bernard TOULEMONDE : « Le cumul du mandat parlementaire avec l'exercice de la fonction de professeur de l'enseignement supérieur », RDP 1978, p. 949-998.

183. L'impact de ce jugement sur la jurisprudence du Conseil Constitutionnel a été souligné par Yves GAUDEMET (« L'indépendance des professeurs d'Université... », op. cit., p. 127). Selon le Bundesverfassungsgericht, l'article 5, alinéa 3 de la Loi fondamentale « signifie non seulement que l'enseignant-chercheur a droit à ce que l'Etat ne s'insère pas dans ses recherches et son enseignement et que l'Etat est tenu de mettre à sa disposition les moyens matériels nécessaires à son activité scientifique mais encore que les universités doivent être organisées de telle façon que la liberté de l'enseignement et de la recherche soit sauvegardée. Certes, cette liberté ne peut pas être complète : la participation des autres enseignants, des étudiants et même du personnel administratif et technique à la gestion de l'Université est justifiée dans la mesure même où ils sont concernés par les décisions à prendre. Cependant, les professeurs et maîtres de conférence ont, en raison même de leur qualification et de leur permanence, droit à être plus fortement représentés dans les organismes collégiaux dont les décisions sont particulièrement susceptibles d'affecter leur liberté scientifique (recrutement, conduite de la recherche) » (cité in Jean BOULOUIS, note sous décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, AJDA, 1984, p. 164). Sur cette décision, voir l'analyse de Michel FROMONT, « République fédérale d'Allemagne : les événements internationaux législatifs, jurisprudentiels survenus en 1972 et 1973 », RDP 1975, p. 153 et s..

184. CE, 29 mai 1992, Association des professeurs du muséum d'histoire naturelle (Leb., p. 217).

185. CE, 29 juillet 1994, Le Calvez, req. n° 66-966.

186. De même sur les questions individuelles, concernant notamment la carrière des enseignants.

187. CE, Sect., 5 avril 1974, Sieur Leroy, op. cit..

188. Décision n° 94-343-344 DC du 27 juillet 1994, commentée in Louis FAVOREU & Loïc PHILIP, Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, op. cit., p. 854 et s.. ; voir également François LUCHAIRE, « Le Conseil Constitutionnel et l'assistance médicale à procréation », RDP, 1994, p. 1647 et s.. ainsi que Bertrand MATHIEU, « Bioéthique : un juge constitutionnel réservé face aux défis de la science. A propos de la décision n°94-343-344 DC du 27 juillet 1994 », RFDA, 1994, p. 1019 et s.. Sur le principe de dignité, voir infra.

189. La nomination, en février 1999, de Gilles VEINSTEIN à une chaire d'histoire turque et ottomane au Collège de France a reçu le soutien d'une importante majorité d'enseignants et de chercheurs, en dépit de l'intense polémique médiatique ayant trait à la publication par cet historien, moins de quatre ans plus tôt, d'un article niant la réalité du génocide arménien, dans la revue L'Histoire (n° 187, avril 1995, dossier : « Le massacre des Arméniens »). L'annulation de l'élection de Gilles VEINSTEIN, si elle avait été prononcée, aurait constitué, selon ces universitaires, « un précédent redoutable et [aurait pu] encourager les groupes de pression, quel que soit le bien-fondé de la cause qu'ils défendent, à intervenir systématiquement dans la vie des institutions universitaires ». Sur « l'affaire VEINSTEIN », voir Yves TERNON, Du négationnisme, op. cit..

190. L'exemple de Serge THION (« le plus infâme, le plus pervers parce que le plus intelligent des négateurs des chambres à gaz hitlériennes » selon Pierre VIDAL-NAQUET - Mémoires, tome 2, Le Trouble et la Lumière 1955-1998, Seuil/La Découverte, p. 194), illustre les dérives ci-dessus rappelées. Chercheur en sociologie au CNRS, Serge THION se rallie à Robert FAURISSON en 1980 et se met à propager une doxa antisémite, s'investissant dans la diffusion des thèses négationnistes sur internet au tournant des années 1990, en tant que co-responsable du site antisémite Aaargh (« Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d'Holocauste ») et usant à ses débuts de son compte internet fourni par le CNRS - voir Gilles KARMASYN, en collaboration avec Gérard PANCZER et Michel FINGERHUT, « Le négationnisme sur Internet. Genèse, stratégies, antidotes », Revue d'Histoire de la Shoah, n° 170, octobre 2000, p. 46-49. Dès 1999, l'affaire suscite de nombreux remous, tant au CNRS que chez les associations antiracistes, aboutissant à ce que le 4 juillet 2000, la Commission administrative paritaire des personnels chargés de recherche du CNRS, qui réunit des représentants de l'administration et des syndicats, vote à l'unanimité la révocation de Serge THION - vote qui sera confirmé par la décision de la directrice générale de l'institution, Geneviève BERGER, en date du 4 octobre 2000, et entrée en vigueur le 1er novembre de la même année. Sur tous ces éléments, l'on prendra avec intérêt connaissance de l'enquête réalisée par le site Amnistia.net :
http://www.amnistia.net/news/articles/plusnews/dosscnrs.htm.

191. Le traducteur et éditeur négationniste, Jean PLANTIN, obtiendra mention « très bien » pour un mémoire de maîtrise consacré (favorablement) à Paul RASSINIER en 1990 et soutenu à l'Université de Lyon III - Jean PLANTIN avait également obtenu un DEA pour son mémoire consacré aux épidémies de typhus exanthématique dans les camps de concentration nazis (1933-1945) à Lyon II en 1991. Les diplômes de Jean PLANTIN feront l'objet d'une mesure d'annulation en 2001. Jean PLANTIN sera également condamné, en vertu de l'article 24bis de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, par la Cour d'Appel de Lyon le 21 juin 2000 (confirmation par Cass. Crim. 13 mars 2001). Voir l'enquête réalisée par le site Amnistia.net, Les Eichmann de papier :
http://www.amnistia.net/news/articles/plusnews/dossnega.htm.

192. L'« affaire de la thèse de Nantes » est à cet égard révélatrice. Henri ROQUES, ingénieur agronome à la retraite et militant d'extrême droite, avait réussi, en 1985, à soutenir une thèse de doctorat consacrée à l'étude de la déposition de l'officier SS Kurt GERSTEIN. Marchant sur les traces de RASSINIER, Henri ROQUES était parvenu à obtenir un jury marqué à l'extrême droite. Que la « thèse » en question ait largement suivi la méthodologie négationniste déjà exposée a été démontré par Georges WELLERS, « A propos d'une thèse de doctorat explosive », Le Monde juif, mars 1986, p. 1-18, et Pierre BRIDONNEAU, Oui, il faut parler des négationnistes, Editions du Cerf, 1997. Le retentissement du scandale était tel qu'il avait fallu faire appel au Droit pour conjurer la crise : la « thèse de Nantes » sera annulée pour vice de forme par décision de l'administrateur provisoire de l'Université de Nantes le 3 juillet 1986. Le jugement (fort complexe) du Tribunal administratif de Nantes en date du 18 janvier 1988 confirmera la légalité de cette décision : voir TA Nantes, 18 janvier 1988, AJDA, 1988, p. 287-290, note Joël-Yves PLOUVIN et Revue juridique de l'Ouest 1988, n° 1, p. 7-32, note Didier TRUCHET. Le Conseil d'Etat, par décision du 10 février 1992, rejettera la requête en annulation d'Henri ROQUES. Pour un compte-rendu historique de « l'affaire ROQUES », voir Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., et pour un examen juridique exhaustif, l'on se référera à France JEANNIN, Le révisionnisme. Contribution à l'étude du régime juridique de la liberté d'expression en France, op. cit., p. 113-130.

193. Bernard NOTIN avait publié un article négationniste dans le 8e numéro d'Economies et sociétés (revue éditée par le CNRS) paru début janvier 1990. La décision de suspension sera annulée par le Conseil d'Etat (CE, 19 mai 1993, Notin, Leb., p. 161) : « considérant qu'en se référant globalement à la publication de cet article signé par M. Notin, sans préciser ni analysé quels passages excédaient les limites de la liberté d'expression des enseignants-chercheurs, et sans qualifier la nature et la gravité des fautes commises dans chaque cas par l'auteur, la décision attaquée est entachée d'une insuffisance de motivation ». Une nouvelle décision de suspension sera prise par le CNESER le 22 mars 1994 - le Conseil d'Etat en confirmera la légalité (CE, Sect., 28 septembre 1998, Notin, req. n° 159236). Voir Valérie IGOUNET, Histoire du négationnisme en France, op. cit., p. 428-434 et France JEANNIN, Le révisionnisme, op. cit., p. 130-139.

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16/02/2003