Le nazisme négateur de l’histoire


Tel est le titre du premier chapitre de l’ouvrage de Pierre Ayçoberry, La question nazie, Les interprétations du national-socialisme 1922-1975, Seuil, Points Histoire, 1979. Ce chapitre décrit la relation du nazisme à l’histoire. Il est absolument frappant de constater que les négationnistes, qu’ils soient de l’ultra-gauche ou de l’extrême droite, ont repris à leur compte la conception et la pratique nazies de l’histoire telles qu’exposées par Pierre Ayçoberry. La lecture du chapitre en question montre que les négationnistes pratiquent une “histoire” nazie.
(Tous les passages soulignés, c’est à dire en gras, le sont par l’auteur de ces lignes).

Une histoire construite à partir de présupposés idéologiques

Pour commencer Pierre Ayçoberry rappelle quelle est la conception hitlérienne de l’histoire, dans laquelle la “race” juive tient une place prépondérante (op. cit., pp. 21-22):

L’inégalité des races n’est donc plus seulement pétition de principe, ni hantise personnelle, mais moteur de l’histoire; […] à l’autre extrémité de l’univers nazi, les Juifs ne représentent pas tant un peuple inférieur parmi d’autres, ni même inférieur à tous les autres, que le non-peuple, puisqu’ils ne possèdent en propre ni sol ni État et que leur visée éternelle est d’accaparer les sols et de corrompre les États. L’Histoire, avec une majuscule, se réduit à la lutte du peuple élu [N.d.A: la race aryenne] et du parasite, de la nature et de l’antinature, lutte quasi désespérée le génie du mal est puissant, et qui ne sera conduite à bonne fin que par des héros. Hitler n’est donc ni un nationaliste traditionnel ni un antisémite ordinaire.

Pour les négationnistes, la Shoah est un mensonge inventé par les Juifs, propagé par les Juifs et inventé pour leur seul profit et celui d’Israël. Pour les négationnistes, c’est le «mensonge juif» qui est moteur de l’histoire. Cette conception grotesque et véritablement paranoïaque est un écho parfait de celle d’Hitler. Les négationnistes, tout comme Hitler, luttent contre les juifs avec une telle conception à l’esprit. Il n’est que de lire l’interminable et lancinante littérature où les négationnistes racontent leurs “aventures” pour comprendre combien cette lutte est constitutive de leur comportement. Comme Hitler, les négationnistes voient leur destin comme un combat contre le “judaïsme”. Si pour Hitler le “judaïsme” c’est la sous-race juive, pour les négationnistes, le “judaïsme” c’est la tromperie juive. Dans les deux cas, l’histoire est subordonnée à la vision et on lui tord le cou en conséquence.

Il convient ensuite de souligner la dernière phrase de l’extrait cité: «Hitler n’est donc ni un nationaliste traditionnel ni un antisémite ordinaire.» Cette constatation évidente pour tous les historiens qui s’intéressent à l’idéologie nazie (voir Eberhard Jäckel, Hitler Idéologue, Gallimard, 1995), est constamment niée par les négationnistes. Ils tentent toujours de ramener la conception du monde, la Weltanschauung d’Hitler dans les chemins balisés de nationalismes et de racismes “ordinaires” afin de faire de la Shoah un événement qui ne rentrerait pas dans la cohérence de cet aspect ordinaire. Mais l’étude de l’idéologie nazie montre combien peu ordinaires étaient le nationalisme et l’antisémitisme hitlériens, si peu ordinaires, que la Shoah rentre bien dans la cohérence de la Weltanschauung hitlérienne, comme, et à la suite de, l’élimination des malades mentaux...

Une vision passionnelle et héroïsante

Pierre Ayçoberry poursuit (op. cit., p. 22)

Appliquée à l’histoire avec une minuscule, c’est-à-dire au passé de l’Europe et de l’Allemagne, cette conception manichéenne opère une transmutation des valeurs […]

Hitler reprend et exalte des thèses déjà prégnantes dans les mouvements völkisch, «Germains […] régénérateurs d’une Europe alanguie par des influences pernicieuses de l’Ouest et du Sud», Décadence due à l’absence d’attention portée à la «pureté raciale», mais P. Ayçoberry précise (op. cit., p. 22):

«[…] ce qu’il y a de spécifique dans son apport, c’est d’avoir installé la haine, la peur, et finalement le pessimisme héroïque sur la place publique.»

C’est la même vision passionnelle et héroïque qui anime aujourd’hui les négationnistes. Il n’est que de voir en quels termes ils évoquent leurs “luttes”. Ainsi, les stars successives du négationnisme sont présentées par la secte faurissonnienne comme de nouveaux Galilée, Zola, Dreyfus, etc., voire un nouveau Messie ! Ce “messianisme” est tout entier dans le vocabulaire de Faurisson, véritable porteur de la bonne parole, lorsqu’il prétend venir annoncer la «bonne nouvelle» de la non existence des chambres à gaz. Hitler aussi se voulait, et était présenté comme un Messie.

La réécriture du passé: «fantasmagories d’amateurs déchaînés»

Dès la prise du pouvoir par les nazis, l’histoire commence d’être réécrite pour rendre le passé conforme à la vision d’Hitler. Ce processus est progressif et bientôt (op. cit., p. 23):

[…] plus significative est la thèse radicale du pédagogue E. Krieck, recteur de Heidelberg, qui dans un article paru en 1939 dans la Historische Zeitschrift démolit tout simplement le passé.

C’est toute l’histoire de l’Europe que les “historiens” nazis réécrivent de façon à la faire coïncider avec la vision raciale et mythique d’Hitler; ils puisent dans les mythes scandinaves, attribuent à tous les événements passés une cause ou des conséquences raciale. Pierre Ayçoberry parle de «fantasmagories d’amateurs déchaînés» (op. cit., p. 24) Et d’ajouter

«Personne, dit le médiéviste K. F. Werner, n’a plus nié l’histoire allemande que les idéologues nazis. »

Pierre Ayçoberry cite alors Max Horkheimer (op. cit., p. 24-25):

«Le fascisme, écrira-t-il en 1943, par l’exaltation même qu’il fait du passé, est antihistorique. Les références des nazis à l’histoire signifient seulement que les puissants doivent diriger, et qu’il n’y a pas de moyen de s’émanciper des lois éternelles qui guident l’histoire. Quand ils disent: “l’histoire”, ils veulent dire exactement le contraire: la mythologie.»

Avec les négationnistes également il s’agit de «fantasmagories d’amateurs déchaînés », de négation de l’histoire et de remplacement de celle-ci par une mythologie, celle notamment d’un incroyable complot juif propagateur de la Shoah, et tout-puissant puisqu’il a réussirait à bâillonner les nations, les historiens, les témoins, à faire mentir des SS endurcis, à inventer des milliers de documents, etc. On retombe littéralement dans la paranoïa propagée par les Protocoles des sages de Sion, ce faux tsariste auquel adhérait la doctrine hitlérienne, qui prétendait dévoiler que les juifs voulaient dominer le monde.

Les négationnistes réécrivent toute l’histoire de la seconde guerre mondiale, en faisant notamment des juifs les responsables ce cette dernière (voir plus bas). Ils ne font que suivre les nazis dans leurs méthodes de falsifications radicales. Ainsi, les nazis falsifiaient l’Histoire sainte (op. cit., p. 26):

Les «chrétiens allemands», qui s’organisent en avril 1933, reprennent les thèses les plus extrêmes de Rosenberg et aboutissent à un christianisme coupé de l’Ancien Testament, à un Jésus aryen, à une Église qui récuse saint Paul, bref à la négation de l’Histoire sainte.

La thèse de l’Allemagne éternelle réprouvée

Les négationnistes, dans leur réécriture continue et falsifiée de la seconde guerre mondiale “expliquent” l’adhésion des alliés à la “thèse” de la Shoah par une volonté de punir, d’humilier, de réprouver, de condamner l’Allemagne. Outre que cette version est tout-à-fait contradictoire avec les événements mêmes qui ont suivi la fin de la guerre (reconstruction par la volonté même des américains, plan Marshall, etc. Réussite réelle et réintégration totale de l’Allemagne au sein des Nations), cette thèse reprend entièrement celle que met en avant l’histoire falsifiée par les nazis et que Pierre Ayçoberry décrit ainsi (op. cit., p. 24):

Ce qu’il en ressort [de l’histoire écrite par les nazis], c’est que le peuple allemand a été un réprouvé au cours des siècles. Voilà bien une historiographie propre à séduire tous ceux qui se sentent les réprouvés du XXe.

N’est-il pas effarant de retrouver cette même rhétorique chez les négationnistes, aujourd’hui, lesquels se veulent véritablement les «réprouvés» de notre société? En effet 80% de la prose négationniste est constituée de pleurnicheries auto-martyrologiques. Cela participe évidemment de la vision passionnelle et héroïsante évoquée plus haut.

Des fabrications incohérentes

L’ “histoire” nazie regorge de contradictions, écrit Pierre Ayçoberry (op. cit., p. 26):

[…] le grand public est assommé par des affirmations contradictoires: la terre est présentée comme seule source de valeurs, mais la plupart des héros nazis dont on raconte la vie exaltante sont des bagarreurs de faubourgs; le matérialisme foncier de la doctrine raciste arbore des oripeaux idéalistes.

Les négationnistes dans leur volonté à tout prix négatrice produisent également une “histoire” contradictoire. Par exemple ils soutiennent simultanément les deux assertions mensongères incompatibles suivantes: “impossibilité” de transporter les juifs à Auschwitz pour cause de sous-capacité du réseau ferré et transport des juifs vers l’URSS par voies ferrées! Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Retournement des culpabilités et banalisation des crimes nazis

Autre dada négationniste: le transfert de la culpabilité. La lecture de la production faurissonienne et apparentée montre que pour la secte négationniste les vrais responsables de la seconde guerre mondiale, ce sont les juifs et les vrais victimes les allemands. Ici encore les négationnistes ne font que reprendre les mensonges nazis d’inversion des rôles Ainsi du film Heimkehr (op. cit., p. 29):

Heimkehr (1940), sur la persécution des Allemands de Pologne, attribue aux Polonais des actes de brutalité qui semblent empruntés aux SS.

Le plagiat par les négationnistes de la propagande nazie prend parfois un tour effarant. Il s’agit pour les uns comme pour les autres de faire peser le poids des atrocités sur les alliés, tant pour l’étendue que pour la préséance chronologique. Le but est de suggérer que les alliés ont toujours fait pire, et avant. Ce qui est censé dédouaner et banaliser le régime nazi. Ainsi, dans un pamphlet négationniste intitulé 66 questions et réponses sur l’Holocauste, la question 7 est libellée ainsi: «Qui a construit le premier camp de concentration, quand et où?». Elle se voit complétée d’une réponse où les britanniques sont dénoncés pour avoir déporté les Bœrs dans des camps en Afrique du sud. Or cela ne fait que reprendre les termes d’un film de propagande nazi, Le Président Kruger. Pierre Ayçoberry rappelle (op. cit., p. 29):

le Président Kruger (1941) montre le sort épouvantable des résistants bœrs dans les camps de concentration britanniques.

Doit-on rappeler l’existence de ce film nazi paradigmatiquent antisémite, le juif Süss, qui faisait du juif un bourreau et de l’allemand une victime, afin de mieux préparer le rôle de victimes des juifs d’Europe dans les plan nazi ? Que préparent d’autre les négationnistes?

«Effacer les traces»

Pierre Ayçoberry écrit (op. cit., p. 29):

«Effacer les traces», l’image résume le système nazi tout entier, conception du monde, rapport au passé, manifestations écrites et visuelles.

C’est bien le projet négationniste qui est ici décrit. Pierre Ayçoberry rappelle (op. cit., p. 32) que le très lucide théoricien nazi Carl Schmitt écrivait

«Aujourd’hui, le 30 janvier 1933, on peut dire que Hegel est mort. »

L’histoire, la vraie, nous enseigne qu’il s’est trompé. Mais les négationnistes sont là pour tenter de lui donner raison.

Conclusion

Nous constatons qu’une description du rapport du Nazisme à l’histoire s’applique concept après concept au négationnisme. Cela montre bien que la nature du négationnisme relève idéologiquement et pratiquement du nazisme, falsifications, antisémitisme et projets politiques compris.

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22/06/98