1. Journal de Kremer, p. 231. 2. Ibidem, p. 228. 3. Ibidem, p. 226. 4. Ibidem, p. 230. 5. Ibidem, p. 231. 6. Sur les quinze «actions speciales», le journal mentionne cinq fois la provenance des personnes. Dans quatre cas, il s’agit de déportés arrivés à Auschwitz. Dans deux cas (y compris l’action double du 7 octobre), des détenues du camp des femmes. L’identification historique des quinze «actions spéciales» rélève qu’une seule à peine ne vise pas des arrivants au camps. 7. R. Faurisson traduit «draussen» par «dehors», et non «à l’extérieur». Et, dans cette lecture immédiate, il se complaît à insinuer qu’«historiens et magistrats suppriment traditionnellement le mot “dehors” (draussen) pour faire dire à Kremer que cette action se déroulait dans une “chambre à gaz”» (voir «Une lettre de M. Faurisson», dans Le Monde, 16 janvier 1979). Le manque de rigueur dans la référence aux documents d’histoire nourrit ces insinuations abusives. A cet égard, on utilisera avec la plus extrême prudence les extraits du journal de Kremer publié dans Justiz und NS Verbrechen, Coll. Urteiten Samenlungen, University Press of Amsterdam, 1977, vol. XVII, p. 500-507 ss. Repris au dossier de l’affaire Kremer à Munster, le texte comporte plusieurs erreurs dont, à la date du 2 septembre, précisément l’omission de «draussen». Le 6 septembre néanmoins, la «Sonderaktion draussen» est publiée correctement.        8. Les «musulmanes» ruinent l’interprétation que J.G. Cohn-Bendit, «révisionniste» modéré, avance dans son «Analyse du journal de Kremer». De l’exploitation dans les camps à l’exploitation des camps, une mise au point de la Guerre Sociale, Paris, 1981, oppose sa lecture aux «spéculations de Wellers, de Vidal-Naquet, ainsi qu[’à] celles de Faurisson» (p. 16). Cohn-Bendit exploite le «aus» des «Sonderaktion». Dans «Sonderaktion aus Holland», il n’y a pas — et dans aucun cas, a lu Cohn-Bendit — une relation grammaticale entre des personnes et Sonderaktion. Il ne s’agirait donc pas d’une action exercée directement sur des personnes. «Selon la structure grammaticale, écrit-il, c’est bien la Sonderaktion qui est en provenance de Hollande». Kremer parlerait donc chaque fois de l’arrivée ou du départ d’un transport. En suivant Cohn-Bendit et en l’absence du «aus», le lecteur ferait partir les «musulmanes» avec des «gens de l’extérieur» arrivant au camp, lors de la «Sonderaktion» unique du 7 octobre 1942! 9. R. Faurisson, spécialiste de la critique des textes littéraires passé à celle des documents d’histoire, estime quant à lui que «cette note est claire. Le Dr. Kremer a ici affaire à des femmes dites “musulmanes”» (voir R. FAURISSON, Mémoire en défense, p. 32). Ce qu’elles étaient ne ressort pas du document Kremer. Pour en lire le sens, il lui faut également recourir à d’autres sources. En histoire, il ne peut pas chercher «midi à midi». «Je cherche midi à midi», avait dit Faurisson avant d’être connu comme «historien révisionniste» (dans Les Nouvelles Littéraires, 10-17 février 1977). «Les textes», expliquait-il dans cette interview, «n’ont qu’un sens ou bien il n’y a pas de sens du tout». (Cité d’après N. FRESCO, Les redresseurs de morts dans Les Temps Modernes, no  407, juin 1980, p. 2154.) 10. Journal de Kremer, p. 228, n.53. 11. cité dans H. LANGBEIN, Hommes et femmes à Auschwitz, Fayard, Paris, 1975, p. 93. 12. Ibidem, p. 331. 13. Ibidem, p. 91-92. 14. Ibidem, p. 90. 15. Ni le témoignage des médecins anciens détenus ni celui de l’ancien médecin S.S. Kremer ne portent sur des femmes atteintes de typhus. Faurisson, utilisant la déposition de Kremer sur ces «musulmanes» s’autorise néanmoins à affirmer qu’elles étaient «atteintes de la maladie […]. Le typhus était passé par là» (R. FAURISSON, Mémoire en défense, p. 32). 16. Journal de Kremer, p. 236. 17. La provenance du convoi du 7 octobre 1942 n’est pas connue. Non plus le nombre de personnes arrivées au camp. L’«action spéciale» à laquelle elles sont soumises laisse entrer au camp 98 hommes et femmes qui y sont immatriculés (Voir le Journal de Kremer, n.77, p. 236). 18. Le journal de Kremer, n 71, p. 234. 19. Ainsi, le 8 novembre, Kremer note même trois «actions spéciales», dans sa numérotation: les douzième et treizième «cette nuit», et «dans l’après-midi, donc la quatorzième». (Voir Journal de Kremer, p. 244).  20. A ce stade de la découverte du journal de Kremer, on s’abstient provisoirement de parler de sélection pour l’«action spéciale», mais on n’oubliera pas cette indication que l’auteur du document ne les confond pas. 21. Journal de Kremer, p. 233. 22. La quatorzième «action spéciale» de Kremer, le 8 novembre 1942, pourrait éventuellement faire exception. Le journal ne mentionne rien sur la provenance des personnes qui en sont l’objet. Aucune source ne recoupe le document. Danuta Czeh ne reprend pas cette «action spéciale» dans le «Calendrier» d’Auschwitz. L’édition critique du journal (note 98, p. 244) ne l’identifie pas non plus. Comme l’«action spéciale» s’était déroulée «cette nuit» selon le Journal de Kremer, il pourrait s’agir d’un convoi du Ghetto de Ciechanow arrivé le 7. C’était le cas de l’«action» du 12 octobre «la nuit» contre un convoi arrivé la veille, mais ici, la note même de Kremer identifiait l’origine du convoi, la «Hollande» 23. Quelques feuilles de la liste chronologique de l’enregistrement par séries de matricules de détenus à Auschwitz sont reproduites dans Hefte von Auschwitz, no  3/1960, p. 113-114. Les séries de matricules correspondant à la période de Kremer sont publiées dans D. CZECH, «Kalendarium der Ereignisse in Konzentrationslager Auschwitz-Birkenau» (Le calendrier des événements), dans Hefte von Auschwitz, no  3, 1960. Les pages 85-102 couvrent la période de Kremer à Auschwitz. La liste des matricules pour cette période a été vérifiée sur les photographies du document original qu’a consulté Christian Dupont. Historien de formation et journaliste à la Radio-Télévision Belge Francophone, il a rapporté de son enquête en Pologne toute une documentation filmée par son équipe à partir des pièces d’archives originales en vue de l’émission du service historique sur Auschwitz ou la mémoire qui revient. Voir également Ministère de la Santé Publique (Belgique), Rap. 429 Tr 178165/39, le 23 avril 1963. Nummerbesetzung im Konzentrationslager, liste établie par le Service International de Recherche de la Croix-Rouge, à Arolsen sur base de ses archives et de la documentation et des travaux du Musée d’Auschwitz; à ce propos, le «calendrier» qui fait référence au journal de Kremer comporte, tout remarquable que soit ce travail, des inexactitudes pour ce qui est de la déportation «occidentale». La notice technique de S. KLARSFELD, dans Le Mémorial de la déportation des Juifs de France les a redressées pour la France; la présente étude en rectifie d’autres pour la Belgique et les Pays-Bas, dans ce cas grâce aux recherches les plus récentes de G. Hirschfeld communiquées à l’auteur. 24. Aucun homme du convoi XVI de Westerbork n’a été immatriculé. 25. US-War Refugee Board: German Extermination Camps - Auschwitz and Birkenau, executive Office of the President, Washington, D.C., novembre 1944. 26. Voir le Rapport sur les camps de concentration d’Auschwitz, Birkenau et Maïdanek rédigé par Rudolf Vrba et Fred Wetzler, le 25 avril 1944 , publié dans R. VRBA et A. BESTIC, Je me suis évadé d’Auschwitz, Paris, 1988, p. 361-362. (Rudolf Vrba s’appelait Walter Rosenberg). 27. L’auteur «révisionniste» W. Stäglich n’en écrit pas moins que «le degré de “précision” éveille la méfiance. Il n’est pas imaginable qu’un détenu, en admettant même qu’il ait fait partie de la hiérarchie du camp ait pu obtenir toutes ces précisions. Et je fais abstraction ici du facteur restitution de tous ces chiffres qui aurait exigé une mémoire hors du commun». (Voir W. STÄGLICH, Le Mythe d’Auschwitz , p. 125). 28. Le tableau chronologique des convois de déportation de S. Klarsfeld donne 928 personnes, mais la notice sur le convoi VII signale 1000 personnes. Voir S. KLARSFELD, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France. 29. Ont aussi été immatriculées 64 femmes dans la série de 19295 à 19358. 30. Le plus souvent, la cartothèque nazie du camp d’Auschwitz est tout aussi lacunaire que celle des autres camps de concentration. Si 8299 matricules ont été attribués à Auschwitz aux 28 convois de Belgique, les archives de la captivité permettent d’identifier seulement 3083 déportés raciaux. 31. Archives du Musée d’Auschwitz, fiche d’Akiwa Frühauf, matricule 63227. 32. Ministère de la Santé Publique et de la Famille. Administration des victimes de la guerre. Service documentation et recherche, Transport VIII. Voir quelques pages de la liste originale, de la page 53 à la page 58, dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique. 33. Voir M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, 1942, les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, Vie Ouvrière, Bruxelles, 1984, t. II p. 211. 34. Si son épouse et sa fille n’ont pas survécu à l’arrivée à Auschwitz, Akiwa Frühauf, lui, n’a pas survécu à la captivité. 35. Pour les Pays-Bas, voir Auschwitz, Ed. Het Nederlandsche Rood Kruis, ‘s Gravenhage, vol. I, 1945 et, sous le même titre, les quatre fascicules, publiés en 1947, 1948, 1952 et 1953. Sur l’histoire de la déportation «néerlandaise», voir L. DEJONG, Het Koninkrijk der Nederlanden in de Tweede Wereldoorlog, Gevangenen en gedeporteerden, 1978, tome VIII, vol. I et IIe partie, p. 708. Une étude de G. HIRSCHFELD, «Die Opfer der nationalsozialistischen Endlösung in den besetzten Niederlanden», sera publiée dans Die Zahl der jüdischen Opfer des Nationalsozialismus, hrsg. Wolfgang Benz, que prépare l’Institut d’Histoire Contemporaine de Munich. Les chiffres des convois «hollandais» qui identifient ici les «actions spéciales» du journal de Kremer sont de G. Hirschfeld. 36. Pour la Belgique, le document de base est la liste alphabétique des personnes arrêtées par l’autorité occupante en tant qu’israélite ou tziganes et déportées par les convois partis du camp de rassemblement de Malines, entre le 4 aout 1942 et le 31 juillet 1944, document multigraphié du Ministère de la Santé Publique et de la Famille, Administration des victimes de la guerre; voir aussi Tableau récapitulatif des Israélites et Tziganes déportés du camp de rassemblement de Malines vers les camps d’extermination de Haute-Silésie, constitué sur base de la documentation en possession du Ministère de la Santé Publique et de la Famille, à la date du 1er septembre 1979. La liste alphabétique, ainsi que les statistiques et leur interprétation ont été publiées par S. KLARSFELD ET M. STEINBERG, Le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, Bruxelles-New York, 1982. 37. S. KLARSFELD, «Introduction» dans Le Mémorial de la déportation des Juifs de France. Le titre de son ouvrage n’est nullement «tendancieux». Ce «n’est» pas «qu’une liste de Juifs qui ont été embarqués dans les trains de la déportation», comme le laisse croire la Réponse à Pierre Vidal-Naquet de R.Faurisson (p. 22). S’«il ne s’agit» en effet «pas d’une liste de morts comme on le donne souvent à entendre» selon Faurisson, c’est qu’elle comporte moins de 3% de survivants! L’avocat S.Klarsfeld, historien de formation, n’a pu, faute de disposer du résultat de recherches administratives d’un quelconque organisme officiel ou ministériel, identifier sur les listes de déportation les personnes disparues. Dans Le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, Klarsfeld qui s’est chargé de la reproduction de la liste alphabétique officielle des déportés, a pu précisément, grâce au matériel documentaire disponible, indiquer nommément ceux qui avaient été rapatriés, à peine 4,77% en l’occurrence. 38. Voir R. VRBA et A. BESTIC, Je me suis évadé d’Auschwitz, p. 388. Une note de la traduction française s’autorise à prétendre — et ce encore en 1988 — qu’à l’exception du chiffre rectifié par Le mémorial de la déportation des Juifs de France, «aucun autre des chiffres cités par Wetzler et Vrba n’a été contesté». L’estimation du nombre de Juifs gazés mentionnait «50000» déportés de «Belgique» et «100000» de «Hollande». Ces chiffres du rapport Rosenberg-Wetzler ne sont pas seulement contestables. Ils sont tout aussi erronés que l’attribution des séries de matricules aux déportés d’Europe occidentale. 39. Une autre répartition n’est pas à exclure, soit 5 de France, 2 des Pays-Bas et 3 de Belgique. La «Sonderaktion aus Holland (1600 persone)» du 12 octobre pose, en effet, un problème d’identification. Convient-il de se fier à l’indication de Kremer sur l’origine «hollandaise» de ces déportés? Le convoi XXVI des Pays-Bas — 1703 personnes au départ — n’est pas arrivé, le 12, mais le jour précédent, le 11. Le 12 arrivent des déportés de Belgique: ils étaient au nombre de 1574 quand les convois XII et XIII, partis de Malines le 10, ont passé la frontière germano-belge. Ces deux convois, probablement regroupés en un seul transport au cours de leur traversée de l’Allemagne, s’arrêtent à Kozel: le convoi XII de 999 déportés comportait 202 hommes âgés de 15 à 50 ans, le convoi XIII de 675 déportés en comptait 156. Au plus arrivent à Auschwitz 1216 déportés dont 28 hommes et 88 femmes sont immatriculés dans la même série de numéros. 1100 déportés disparaissent, ce 12 octobre. L’«action spéciale» de Kremer a eu lieu «la nuit». S’agit-il de la nuit du 11 au 12 octobre, auquel cas, comme il l’écrit, l’«action» s’appliquerait bien au convoi «hollandais» dont les déportés ont été immatriculés le 11. Mais la note de Kremer débute par la mention de sa deuxième vaccination qui a provoqué une forte fièvre. «Malgré cela», il participe «la nuit» à une «Sonderaktion». Serait-ce alors dans la nuit du 12 au 13 sur le convoi «belge» arrivés le 12? C’est peu probable: Kremer l’aurait notée, à la date du 13, et non du 12. Le problème reste entier car c’est le 12 que sa «deuxième vaccination […] a provoqué une forte réaction générale dans la soirée (fièvre)», écrit-il. Le fait que le 12 octobre soit un lundi fournit peut-être la solution du problème. Le 11 aurait été un jour férié pour le commando du S.S. Hössler opérant aux chambres à gaz et la mise à mort des déportés« hollandais», arrivés le 11, aurait été effectuée le 12 avant le gazage des «Belges». 40. «Deux témoignages vivants sur les abattoirs de Pologne, un avertissement, un appel à la vigilance, à la résistance, à la lutte», dans Notre Voix, 1er août 1943, reproduit dans S. COURTOIS et A. RAYSKI, Qui savait quoi? L’extermination des Juifs 1941-1945, Paris, 1987, p. 201-203. 41. Ministère de la Santé Publique-Belgique, dossier de Honig, Ignacy, né le 23 juillet 1904. Déclarations d’Ignacy Honig, de Chaïm Salomon, né le 18 mai 1906. 42. Voir la notice sur le convoi no  29 en date du 7 septembre 1942, citant le télex adressé par H. Röthke, le chargé des affaires juives à Berlin, à Orianenburg et à Auschwitz, dans S. KLARSFELD, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France. 43. Journal de Kremer, p. 231. La note 62 du Musée d’Oswiecim renseigne, à cette date, l’arrivée d’un convoi de Westerbork, parvenu en fait, le jour précédent. Cette erreur d’identification fausse également, du moins pour un convoi, la lecture d’une première version de cette étude publiée sous le titre «Les yeux du témoin et le regard du borgne. lecture critique d’un génocide au quotidien», dans Cahiers du Centre de Recherches et d’Etudes historiques de la Seconde Guerre mondiale, 12, mai 1989, p. 31-84.   44. Sur les évadés de Haute-Silésie, voir M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, vol. I, p. 250-254. 45. Ministère de la Santé Publique-Belgique, dossier de Honig, Ignacy, né le 23 juillet 1904. Déclaration non datée d’I. Honig. 46. Lettre de Joseph Jakubowicz à l’auteur, Bruxelles, le 12 octobre 1987. 47. Archives du Musée d’Auschwitz, fiche de Koplewicz, Henri, matricule 63234. Kopléwicz est né le 21 décembre 1913. 48. Voir S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique (non paginé). 49. La Réponse à Pierre Vidal-Naquet (p. 44) de Faurisson accepte néanmoins l’argument purement rhétorique de son éditeur, P. Guillaume, que les déportés non enregistrés à Auschwitz, «allaient» à «Kielce», à Kosel, corrige l’expert en «révisionnisme». (voir P. VIDAL-NAQUET, Les Assassins de la Mémoire, p. 64 n.89). 50. Serge Klarsfeld a estimé la sélection pour le travail à 4000, sur la base des âges. Le 1er avril 1944, 3056, rattachés au complexe d’Auschwitz, y étaient immatriculés. 51. Dans les procédures judiciaires contre Kremer, il n’a pas été tenu compte de la sélection de Kosel. Jerzy Rawicz, auteur de la traduction polonaise du document Kremer original et préfacier de l’édition scientifique du Musée d’Oswiecim, a écrit qu’«au cours de son bref séjour à Auschwitz, [le médecin SS] a réussi à envoyer 10717 hommes, femmes et enfants sur 12291 à la chambre à gaz» (Journal de Kremer, p. 29). En 1960, le ministère public de Munster a impliqué la responsabilité personnelle de l’ancien médecin S.S. dans la mort d’au moins 7735 personnes (Justiz und NS Verbrechen, vol. XVII, p. 21). Le chiffre de Munster plus proche des 6732 de cette étude est le moins bien établi. La copie du journal dont s’est servi le parquet ne comporte pas les «bonnes» dates. Dans cette version Munster, 10 «actions spéciales» de Kremer concernaient des convois d’Europe occidentale: 5 de France, 2 seulement des Pays-Bas et 3 ou 4 de Belgique. La vérification sur le manuscrit original de Kremer établit l’erreur du parquet de Munster. 52. La note de Kremer n’est pas pour autant la plus sûre. Le XXVIe convoi parti des Pays-Bas, le 9 octobre, achemina plus de déportés qu’il ne le signalait: ils étaient au départ 1703. 53. Voir Le journal de Kremer, p. 237.

Maxime Steinberg

Les yeux du témoin
et le regard du borgne

L’Histoire face au révisionnisme

«L’histoire à vif». Les Éditions du Cerf, Paris 1990. ISBN 2-204-04107-6.
© Les Éditions du Cerf 1990, Maxime Steinberg 2009.
Droits de reproduction — Reproduction rights

Chapitre 1
Entre les lignes

Le témoignage de l’erreur

Les notes du médecin S.S. d’Auschwitz sont le plus souvent de petites phrases laconiques apparemment dépourvues d’épaisseur événementielle. La plus caractéristique est peut-être celle du 10 septembre 1942, jour où l’histoire perd toute trace d’au moins 632 déportés à peine arrivés avec le convoi VIII de Belgique. Kremer a simplement écrit que «le matin», il avait assisté «à une action spéciale»! La note n’est pas plus explicite! Aux yeux de l’officier S.S., cette «action» du 10 septembre n’était néanmoins pas un fait négligeable. Si son cahier ne mentionne rien d’autre ce jour-là, il retient — indice significatif de l’importance que l’auteur du journal attache personnellement à ces faits — que c’était «la cinquième fois» qu’il prenait part à une action spéciale depuis son arrivée au camp1.

Dans ses comptes, Kremer s’est pourtant trompé. La cinquième fois était, en réalité, la sixième. L’erreur se situe, le 5 septembre: coup sur coup, l’officier S.S. participe à deux «actions spéciales», l’une «à midi», l’autre «le soir, vers 8 heures, de nouveau2». «La première fois», c’était le 2 septembre «à 3 heures  du matin3». Les deux «actions» du 5 portent donc son compte à trois. Le lendemain, le 6, «le soir, vers  8 heures», le médecin S.S. prend part «de nouveau à une action spéciale4». Donc la quatrième! Mais il ne compte pas encore: il en est toujours à ses débuts. C’est à la suivante, le 9 septembre qu’il s’installe dans la routine et  entame sa numérotation incorrecte, «le soir» avec «la quatrième fois5».

L’erreur du journal de Kremer n’est pas innocente. Elle a sa vérité. Le témoin qui se trompe témoigne une seconde fois. Son erreur — qu’il la commette pendant les faits ou après coup — est quelque part instructive. Dans le journal de Kremer, l’erreur de compte aide à mieux appréhender la signification usuelle de l’action spéciale pour ses participants. Le 9 septembre, après sa première semaine d’actions spéciales, l’officier S.S. Kremer, se les remémorant, ne retient qu’une seule des deux actions du 5 septembre et c’est celle qui ne s’écarte pas de sa pratique désormais habituelle. La première fois, le 2, il avait inscrit une action spéciale à l’extérieur. Le 6, c’est de nouveau […] à l’extérieur. Le plus souvent pourtant, le journal de Kremer n’a pas précisé. Sur les 15 actions spéciales mentionnées, 5 à peine comportent une indication6. La note double du 5 septembre fournit un renseignement pour chaque action. L’entrée du midi — elle est à citer en allemand — porte sur une Sonderaktion aus dem F[rauen] K[onzentrations] L[ager] (“Muselmänner”)! Une action spéciale à partir du camp des femmes où il y a des musulmanes! L’entrée du soir, à 8 heures laisse tout aussi perplexe: ici, il s’agit d’une Sonderaktion aus Holland. Le texte est énigmatique. Ces deux actions spéciales en provenance de Hollande et d’un camp de musulmanes à Auschwitz heurtent le sens commun.

C’est que le mot à mot est piégé. Le journal de Kremer dit autre chose que ce qui est écrit. Il a son propre code. Les Sonderaktion «aus Holland» ou «draussen» (à l’extérieur)7 ne se prêtent pas plus à une lecture immédiate que les «musulmänner» d’Auschwitz8. Ici, le sens littéral est, à l’évidence, un contresens historique. Cette pièce d’époque n’atteste pas la présence de musulmanes au camp d’Auschwitz!

Les «musulmanes» à Auschwitz

Dans son journal, l’officier S.S. ne se réfère pas à une catégorie administrative de détenues. Le terme de «musulmanes» est repris à l’argot du camp et les archives d’Auschwitz ne sont ici d’aucun secours. La seule lecture des sources d’époque ne livre pas la clef. L’énigme des «musulmanes» d’Auschwitz appelle des sources d’une autre nature, ces sources dites orales parce que recueillies après guerre auprès de témoins — anciens gardiens S.S. et anciens détenus, quelles que soient, par ailleurs, les circonstances de cette enquête9. Dans cette confrontation des sources orales et documentaires, la pièce d’archives authentifie dans le témoignage ce qui décrypte et amplifie son propre sens.

En l’occurrence, celui des «musulmanes» du journal de Kremer lève un coin du voile sur l’atrocité d’Auschwitz. «Le comble de l’horreur», y est-il écrit, le 5 septembre 1942, à propos de la «Sonderaktion aus […] Müsulmänner». «En tant qu’anatomiste», dira Kremer après la guerre, «j’ai vu beaucoup de choses horribles, j’ai eu souvent à faire avec les cadavres, pourtant ce que j’y ai vu, je n’ai pu le comparer avec quoi que ce soit10». Interrogé dans l’instruction de son procès à Cracovie en 1947, l’ancien médecin S.S. d’Auschwitz parle ici du lieu où se déroule cette «action spéciale»: «ce que j’y ai vu», a-t-il bien dit. Sa déposition s’attache au comportement des musulmanes à cet endroit et c’est leur attitude qui lui a fait concevoir, à l’époque, le comble de l’horreur. Questionné sur les modalités de l’action du 5 septembre, l’anatomiste ne livre pas un diagnostic médical sur ces prisonnières amaigries du camp de femmes désignées généralement par le nom de Musulmänner.

Le témoignage d’anciens détenus — des médecins d’Auschwitz — personnellement concernés dans et par leur drame est plus explicite.  Le docteur Aron Bejlin expliquera que «le stade de “musulman” est le dernier dans la cachexie […]. Celui qui y parvient se met à parler sans cesse de nourriture. Or, il y avait deux sujets tabous à Auschwitz: le crématoire et la nourriture […]. Quand quelqu’un perdait le contrôle de lui-même et se mettait à raconter sans arrêt les repas qu’il faisait chez lui, c’était le premier signe qu’il était arrivé au stade de “musulman”11». Le docteur Wladyslaw Fejkiel désigne ce stade comme la deuxième phase des «symptômes de la dénutrition». Selon ce médecin à qui, du temps d’Auschwitz, Kremer avait réclamé deux détenus dénutris pour … ses observations12, «la première était caractérisée par l’amaigrissement, l’atonie musculaire et la diminution croissante de l’énergie motrice». La seconde «commençait quand l’affamé avait perdu le tiers de son poids normal». «Outre l’amaigrissement plus prononcé» et ses effets physiologiques, se modifiait aussi le comportement. L’allure était typique: «quand on observait un groupe de loin», ajoute Fejkiel, «il faisait penser à des Arabes en train de mendier, d’où le nom de “musulmans” qu’on leur donnait habituellement dans le camp13».

 Les «musulmanes» du camp des femmes — sujet du traitement «spécial» du docteur S.S. Kremer — ont été décrites, en 1946, dans les Aspects pathologiques du camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau. Désiré Haffner, ancien concentrationnaire, n’y retient pas son indignation. «Des femmes?», proteste-t-il. «Mais qu’est-ce qu’elles avaient encore de féminin, d’humain, ces spectres affreux à voir? Ces crânes rasés, ces peaux craquées par les intempéries, ces corps squelettiques portant partout les traces des atrocités commises par les femmes S.S., ces bras tatoués, ces mains gelées, ces jambes gonflées, c’étaient ça des femmes?14». L’impression d’horreur qu’elles laissèrent dans le journal de Kremer tenait, néanmoins si peu à leur aspect physique15 que l’officier S.S. oublia cette «action spéciale» dans sa chronologie numérotée. C’est qu’elle ne correspondait pas à la routine des «Sonderaktion». Elle s’appliquait, en effet, à des détenus du camp, et non — comme en témoigne l’erreur dans les comptes de Kremer — à des gens de «l’extérieur».

Les «gens de l’extérieur»

La seconde «action spéciale» du 5 septembre «aus Holland» relevait de cette routine. Une note du 12 octobre fournit cette clef de lecture. Kremer y signale une autre «Sonderaktion aus Holland» et, cette fois, il précise: «1600 personnes». «Aus Holland» se lit donc «des gens en provenance de Hollande16». Les «actions spéciales» s’appliquent à des personnes provenant de l’extérieur: des «Auswartige», écrit textuellement Kremer, le 7 octobre. Cette dernière note est des plus sommaires, mais livre, dans sa brièveté, une indication précieuse. Kremer y inscrit «la neuvième action spéciale (gens de l’extérieur et femmes “musulmanes”)». L’inscription porte sur une «Sonderaktion» unique qui concerne deux catégories de personnes différentes, les unes provenant du camp des femmes, les autres arrivant de l’extérieur17. La note fait penser à celle du 5 septembre. Le journal renseignait aussi deux catégories de personnes: des internées provenant — «aus» — du camp des femmes et des déportés arrivés à Auschwitz «aus Holland», mais les deux «action spéciale» étaient distantes d’un intervalle de 8 heures, l’une «à midi», l’autre «vers 8 heures». Chaque «action» portait sur des personnes différentes et dans un temps différent. Le 7 octobre, le journal de Kremer enregistre dans le même temps une seule et unique «Sonderaktion» sur des personnes différentes. Et le journal n’introduit ici aucune erreur. Le médecin S.S. est désormais attentif à sa comptabilité: il la tient depuis un mois. Tronquée au départ, la numérotation correspond bien aux «actions» notées: après le 10 septembre — «la cinquième fois» —, Kremer signale sa participation à deux «actions spéciales», le 23 septembre, la «nuit»: ce sont ses «6. und 7. Sonderaktion». A cette date sont arrivés deux convois; le premier — d’après les 351 numéros de matricules attribués — provenait de Slovaquie: à défaut de la «transportlist», on ignore le nombre de Juifs qui disparaissent. Il s’élève à 499 pour l’autre transport, un convoi «français», le XXV. La «8. Sonderaktion» a lieu, le 30, encore une fois «la nuit»: un convoi d’origine inconnue est arrivée, ce jour-là comme l’atteste l’immatriculation à Auschwitz de 156 personnes18. Une semaine après, le 7 octobre, Kremer inscrit la «9. Sonderaktion» sur les deux catégories différentes. La «10. Sonderaktion» est datée du 12 octobre. Dans les comptes du journal, la note unique du 7 ne vaut pas pour deux «actions», le même jour. Kremer ne les a pas mentionnées, ce qu’il n’a jamais manqué de faire quand cela se produisait19. Dans ses notes, l’erreur est dans la numérotation, non dans les inscriptions. Le 7, il n’a pas, notant les deux catégories concernées par l’«action spéciale» du jour, confondu leur … désignation20 avec la «Sonderaktion» proprement dite.

Ce point éclaire quelque peu le sens de l’énigmatique action spéciale du journal de Kremer. Les localisations — en particulier le drausen du premier jour — signalent la provenance des personnes qui y sont soumises. Pour sa neuvième action sur des gens de l’extérieur et […] femmes musulmanes", Kremer n’était évidemment pas, le 7 octobre, à l’extérieur du camp et, en même temps, à l’intérieur. Et s’il a noté, le 5 septembre, une action spéciale à partir du C[amp de] C[oncentration des] F[emmes], il ne l’aura cependant visité que douze jours plus tard. C’est, en effet, le 17 que son journal acte qu’aujourd’hui, il a visité le camp des femmes21. Le 5, Kremer n’avait toujours aperçu que des musulmanes provenant de ce camp. C’est à cet égard que l’absence de l’action spéciale du 5 septembre dans les additions de l’officier S.S. n’est pas une erreur de détail. L’omission est hautement significative elle indique combien le médecin d’Auschwitz conçoit son activité spéciale en fonction de l’arrivée des transports. Dans la pratique du S.S. commis aux actions spéciales, ce qui est singulier se déroule à l’intérieur du camp d’Auschwitz. La singularité du camp de l’extermination qu’il découvre à l’occasion de sa première action spéciale se situe, quant à elle, à l’extérieur d’Auschwitz. Ce témoignage est capital. Il situe, à Auschwitz, la différence entre le camp d’extermination et le camp de concentration. C’est en ce sens historique essentiel que la chronique personnelle de l’officier S.S. est, dans sa comptabilité des actions spéciales, un journal des convois.

La chronique des convois

De fait, sauf une — précisément le 5 septembre — chaque «action spéciale» du journal de Kremer coïncide avec la réception de nouveaux venus au camp22. Si la lecture des notes quotidiennes du médecin S.S. suggère quelquefois cette coïncidence, elle est chiffrée dans la liste chronologique des séries de matricules attribuées aux détenus enregistrés dans le camp d’Auschwitz23. Le 2 septembre — à la «première […] action spéciale» de Kremer — la liste conserve la trace de 12 matricules, de 62897 à 62908. Les «femmes» enregistrées ce jour-là  au nombre de 27 relèvent d’une autre série, de 18827 à 18853. Dans la suite de cette série, le 5 septembre — date de la «Sonderaktion aus Holland» — 53 femmes reçoivent les matricules de 19117 à 19169 (Auschwitz a enregistré entre temps 264 détenues)24. Le 6 septembre, la «Sonderaktion» de Kremer — «de nouveau», a-t-il écrit — coïncide également avec une nouvelle attribution de matricules: 16 aux hommes, la série de 63065 à 63080, et 38 aux femmes, la série de 19170 à 19207.  Ces séries parallèles et ininterrompues comportent, à chaque date où le journal de Kremer enregistre une «action spéciale», quelques dizaines, voire quelques centaines de matricules supplémentaires. A la dernière «Sonderaktion», «donc la quatorzième à laquelle j’ai participé», écrit Kremer le 8 novembre, les matricules des hommes passent de 74021 à 74165 et ceux des femmes, de 23963 à 24044, soit 145 hommes et 82 femmes enregistrés.

Cette liste chronologique — document capital pour l’histoire de la déportation à Auschwitz — n’est pas une source de première main. Le document n’émane pas directement de l’administration S.S. du camp. Les séries de matricules ont été clandestinement relevées à la «section politique» et conservées à l’insu des S.S.. Une source d’époque l’atteste. La source est … américaine. Trois mois avant que l’armée rouge ne libère le camp d’Auschwitz, le War Refugee Board, l’office des réfugiés de guerre publiait, en novembre 1944, le rapport — alors anonyme — de deux évadés d’Auschwitz25. Walter Rosenberg et Alfred Wetzler, Juifs slovaques, avaient rédigé leur document, le 25 avril, dix-huit jours après leur évasion. Ils avaient disposé de l’information indispensable, à savoir les séries de matricules attribuées aux détenus lors de leur enregistrement dans le camp, pour informer le monde libre du sort des disparus. Leur témoignage se fondait, en effet, sur la succession des immatriculations à l’arrivée au camp. Les séries dont ils firent état couvrent aussi la période du journal du médecin S.S. d’Auschwitz et, à cet égard, le rapport Rosenberg-Wetzler constitue une autre source documentaire — non nazie — sur le massacre des Juifs de l’Ouest à leur arrivée à Auschwitz. Les deux évadés identifiaient, dans les séries «environ de 49000 à 64800, 15000 Juifs» déportés de l’Ouest dont ils croyaient qu’ils étaient «naturalisés français, belges et hollandais26». D’après leur témoignage, «ce nombre ne comprend que 10% […] des déportés des convois qui arrivèrent entre le 1er juillet et le 15 septembre 1942». Rosenberg et Wetzler affirment que les autres — donc 140000 déportés non enregistrés si l’on se fie à cette information  — «furent directement dirigés sur le bois de bouleaux. Le commando spécial (Sonderkommando), affecté aux opérations de gazage et d’incinération», précisent les évadés d’Auschwitz, «travailla par équipes de jour et de nuit. Des centaines de milliers de Juifs furent gazés pendant cette période». Le document comptabilisant déjà 150000 déportés d’Europe occidentale pendant le seul été 1942, recense encore 3000 autres «juifs naturalisés français, belges et hollandais» dans la série des matricules «environ 65000 à 68000». «Les autres», ajoutaient-ils, «au moins 30000 furent gazées». A suivre ces témoins échappés du camp d’extermination, le bilan du génocide «occidental» s’élèverait déjà à environ 170000 morts. Leur rapport identifie encore — toujours pour la période de Kremer — 9000 autres «Juifs naturalisés français, belges et hollandais» dans la série «environ 71000 à 80000». «Le nombre de ceux qui ont été admis au camp dépasse à peine 10% du total du convoi […]», expliquent-ils. Les évadés s’autorisaient d’«une évaluation prudente» pour affirmer que «65000 à 70000 furent gazées».

L’«évaluation» n’était en rien «prudente». Ces rescapés d’Auschwitz se trompaient grossièrement. Leurs calculs sont si abusifs qu’ils disqualifient la valeur historique de cette source datant de la guerre. «Son» bilan de la déportation occidentale porte à environ 260000 personnes le nombre de Juifs de France, de Belgique et des Pays-Bas qui seraient arrivés à Auschwitz, du 19 juillet au 8 décembre selon les séries de matricules mentionnées dans le document. Les révélations des évadés sur le nombre des déportés «occidentaux» assassinés par le gaz sont tout aussi excessives. Mécaniquement, ils ont appliqué à tous les convois de l’Ouest un calcul de 90%, qui s’avère avoir été au contraire exceptionnel. L’erreur de ces témoins est d’avoir — comme il arrive trop souvent — systématisé abusivement des informations par ailleurs fondées. En dépit de ses extrapolations excessives, le document Rosenberg-Wetzler a l’avantage d’authentifier ce que les concentrationnaires, tout au moins les plus avertis, savaient à l’époque du sort réservé aux déportés non immatriculés. Du point de vue de la connaissance historique, c’est cette information qui est le plus utile: le rapport des évadés d’Auschwitz authentifie les séries de matricules copiées par les détenus employés à la «section politique» du camp.

Le témoignage a l’avantage — encore qu’il soit vain en raison des corrections absolument indispensables qu’appellent ses erreurs grossières27 — d’identifier les déportés d’Europe occidentale dans ces séries de matricules. Comme ils l’avaient prétendu, la première citée — les 50000 — a bien été attribuée à des transports «occidentaux»: dans cette série, 911 matricules ont servi à inscrire les hommes des convois VI et VII de France arrivés, non pas à partir du 1er, mais les 19 et 21 juillet. L’erreur est bénigne. En revanche, le témoignage Rosenberg-Wetzler achoppe sur le sort des 928 déportés du premier convoi: partis de Pithiviers le 17 juillet, ils ont tous — intégralement tous — été acceptés dans le camp: les 809 hommes ont été immatriculés, dans la série de 48880 à 49688 et les 119 femmes dans celle de 9550 à 9668. Le convoi VII de France, parti de Drancy le 20 juillet, n’a pas, quant à lui, été épargné à l’arrivée, quoiqu’il n’ait pas subi des ravages aussi dévastateurs que les évadés d’Auschwitz le rapportent pour cette période28. Des 1000 déportés, les disparus sont, le 21 juillet, au nombre de 375: la série des matricules de 49777 à 50280 a été distribuée à 504 hommes du convoi VII et 121 matricules dans la série de 9703 à 9823 ont été attribués aux femmes. La série des 50000, entamée avec les hommes de ce convoi, n’a pas entièrement servi à l’immatriculation de déportés de l’Ouest: le 22 juillet, 479 hommes du convoi III des Pays-Bas ont reçu les matricules de 50403 à 50881 (les femmes — 297 —, les numéros de 9880 à 10176). A nouveau, dans ce convoi, les disparus à l’arrivée sont les moins nombreux: 155. Dans le cas «belge» également, les déportés immatriculés sont toujours plus nombreux — et de beaucoup — que les 10% attestés par les évadés. Les convois «belges» arrivèrent seulement à partir du 5 août. Au convoi I, 426 hommes reçurent des matricules de 56433 à 56858, 318 femmes étant enregistrées de 14784 à 15101. De ce premier convoi, 254 personnes ont disparu à l’arrivée.

Les renseignements communiqués par les évadés d’Auschwitz sur le sort des déportés de l’Ouest ne sont guère plus sûrs dans la dernière série de matricules citée dans leur rapport. Dans la période où la série des 80000 aurait été, selon eux, distribuée à des déportés de l’Ouest, aucun convoi n’est arrivé de France, de Belgique ou des Pays-Bas. La série précédente ne comporte, quant à elle, que 77 matricules, de 79313 à 79389 réservés à un convoi «hollandais». Ici cependant, le témoignage des évadés sur les 10% d’enregistrés se confirme: des 826 déportés de ce convoi, 749 ont disparu à leur arrivée le 2 décembre. Le pourcentage des disparus est tout aussi élevé dans le cas du convoi des Pays-Bas arrivé le 21 novembre: sur un contingent de 726 déportés ont été immatriculés seulement 35 femmes, de 25621 à 25655, et 47 hommes de … 77194 à 77240. Aucun autre convoi de l’Ouest n’avait été acheminé pendant les immatriculations de la série 78000. Le témoignage des évadés est plus que lacunaire. Sur les 4000 matricules de la série de 77000 à 80000 attribués selon eux à des «Juifs naturalisés français, belges et hollandais», à peine 124 leur ont été réservés. Les erreurs sont si nombreuses dans le document Rosenberg-Wetzler que cette source d’époque relative au massacre des Juifs de l’Ouest n’apporte, en cette matière, qu’une très vague information fort peu fiable. La liste chronologique des séries de matricules est, quant à elle, d’une tout autre qualité. Document certes de seconde main, cette source est fondamentale.

L’authenticité de ses renseignements compense heureusement son silence sur l’origine des convoi arrivant de l’Ouest. A la différence du rapport Rosenberg-Wetzler, la liste chronologique ne mentionne pas la provenance des déportés dont elle a conservé les matricules. Ainsi, le 10 septembre 1942, elle acte l’inscription à Auschwitz de 21 hommes sous les numéros de 63223 à 63243 sans indiquer qu’il s’agit, dans ce cas, de déportés de Belgique29. Les fiches personnelles de détenus immatriculés à la «Politische Abteilung» permettaient de connaître leur origine. Plusieurs ont été conservées30. Elles authentifient la liste chronologique. Celle du détenu d’Akiwa Frühauf, né le 15 mai 1893 à Cracovie, porte le matricule 6322731. Cette pièce d’archives provenant de la cartothèque du «Konzentrationslager Auschwitz» renseigne encore que le détenu immatriculé 63227 a été «livré la 1ère fois» au camp, le «10 septembre 1942». Dans la série de matricules attribués ce jour-là, Frühauf était, selon sa fiche, le cinquième déporté admis au camp à l’arrivée d’un convoi parvenu de Belgique. La fiche de la «karterei» établit formellement cette provenance. A la rubrique «Arrêté», il a été écrit «le 28 août 1942»; la rubrique «à» indique «Anvers». Le renseignement renvoie aux archives du camp de rassemblement, à Malines, en Belgique32. Celles-ci ont aussi été conservées et le nom d’Akiwa Frühauf y figure sur un exemplaire de la liste du transport VIII. Le document, également chronologique, débute à la date du 29 août 1942 avec les noms dans le désordre des personnes enregistrées ce jour-là à la caserne Dossin. Akiwa Frühauf (arrêté en fait dans la nuit du 28 au 29 août pendant la grande razzia dans le quartier juif d’Anvers33) y est inscrit sous le numéro 30. Au numéro 31, sa femme Bertha Frühauf-Rubinlicht, née le 2 mai 1903; au numéro 32, sa fille Godelaine, née le 16 juin 1935. A Auschwitz, ni l’une, ni l’autre n’ont été immatriculées34. La dernière personne inscrite sur la «transportliste», à la date du 4 septembre 1942 est un enfant de 6 ans à peine, Gita Stazowski, née le 18 août 1936. Cette fillette juive n’a plus eu dans l’histoire d’autre matricule que le numéro 1000 qui était le sien à la date du «4 septembre 1942» dans le convoi VIII en formation. Parti le 8 septembre du camp de Malines, ce transport de 1000 personnes, toutes identifiées, est arrivé à Auschwitz le 10: la fiche d’Akiwa Frühauf l’établit, la chronologie des matricules le confirme comme d’une autre manière, la chronique de Kremer avec, pour «la cinquième fois» selon lui, une note sur l’«action spéciale» du jour!


Les transports du journal

De ses quatorze «actions spéciales» sur des «gens de l’extérieur», les seules que le médecin S.S. d’Auschwitz ait comptabilisées, neuf sont ainsi identifiables grâce aux archives de la déportation d’Europe occidentale. Comme en Belgique, les «transportlisten» des camps de rassemblement de France et des Pays-Bas n’ont pas été détruites lors de la débâcle allemande. Dans ces pays de l’Ouest, le matériel documentaire disponible a permis de fixer avec la plus grande exactitude possible les statistiques relatives à la déportation et au sort des déportés. Les Pays-Bas, publiant les chiffres et les noms, le firent officiellement très tôt après la guerre35. Ce fut fait un peu plus tard en Belgique36. En France, cela n’a jamais éte la préoccupation des autorités nationales. Il a fallu y attendre plus de 34 ans pour qu’«au terme d’un travail éprouvant», un chercheur acharné, Serge Klarsfeld — avocat, mais aussi historien — publie «les noms de presque toutes les victimes et les renseignements d’état-civil qui permettent de les identifier et de dresser le bilan de cette tragédie, comptabilisée par de rigoureuses statistiques37». Ce remarquable travail réduit de moitié le chiffre le plus souvent avancé de 150000 déportés. Les estimations les plus fantaisistes n’avaient cessé de circuler depuis 1944. Dès novembre, le rapport de l’office américain des réfugiés de guerre avait lancé, avec le document Rosenberg-Wetzler, une «estimation du nombre de Juifs gazés à Birkenau entre avril 1942 et avril 1944» qui se situait à «150000» dans le cas des déportés de France38.

Le Mémorial de la déportation des Juifs de France calcule au contraire au plus juste, dans chaque convoi, le chiffre approximatif des déportés disparus dès leur arrivée à Auschwitz. Ces calculs procèdent du principe appliqué au convoi VIII de Belgique. Les recherches de Klarsfeld permettent ainsi d’identifier 5 «actions spéciales» du journal de Kremer: le 2 septembre, sur le convoi XXVI (parti de Drancy, le 31 août); le 6 septembre, sur le convoi XXVIII (également parti de Drancy, le 4 septembre); le 9 septembre, sur le convoi XXIX, (toujours parti de Drancy, le 7 septembre); le 23 septembre, sur le convoi XXXV (parti lui de Pithiviers le 21 septembre); et enfin, le 8 novembre sur le convoi XLVII (parti de Drancy le 6 novembre). Trois autres «actions spéciales» sont encore identifiables grâce aux recherches sur la déportation «néerlandaise» à partir du camp de rassemblement de Westerbork: celle du 5 septembre, sur le convoi XVI (parti le 4 septembre); celle du 12 octobre, sur le convoi XXVI (parti le 9 octobre); et enfin celle du 18 octobre, sur le convoi XXVIII (parti le 16 octobre).

Les archives fournissent ainsi formellement, pour 9 convois «occidentaux» du journal de Kremer le nombre de déportés au départ des convois et le nombre d’entre eux qui ont été immatriculés à Auschwitz. Les 9 convois — 5 de France, 3 des Pays-Bas et 1 de Belgique — comptaient 10356 déportés au départ de l’Ouest39. A l’arrivée, Auschwitz en immatricula à peine 1346. Le décompte ne fixe pas avec la même rigueur dans chaque cas le nombre des personnes qui ont disparu à jamais dès leur descente de train. A l’arrivée du convoi XXIX de France — objet de la quatrième «action spéciale» du journal de Kremer —, les 111 matriculés attribués ne signifient pas que tous les autres déportés ont été massacrés. Deux d’entre eux, Ignacy Honig et Chaïm Salomon livrent en 1943 leur témoignage […] vivant […] sur les abattoirs de Pologne40. Notre Voix le publie, en France le 1er août. Ces deux déportés du XXIXe convoi venaient de s’évader le 22 avril du camp disciplinaire de Schopenitz41. Juifs d’Anvers, ils ont d’abord rejoint la Belgique: ils s’y cachent à Namur, à l’Hôtel Léopold, après leur retour le 2 mai. Puis, séparément, ils ont gagné le Sud de la France comme ils l’avaient fait au printemps 1942 avant leur arrestation à Monte-Carlo, à la fin d’août. C’est à Nice L’organe de la section juive de la Main d’œuvre Immigrée du parti communiste français présente le témoignage publié en août comme celui d’«un Juif de Nice qui, déporté, vécut pendant 8 mois dans un des plus atroces camps de Pologne».

D’après le récit de Notre Voix, les deux évadés n’avaient pas été acheminés jusqu’à Auschwitz. Leur convoi s’était arrêté à 120 km, à Kozel. «Pendant trois jours», relate ce témoignage du temps de guerre, «nous avons voyagé sans manger, sans même un peu d’eau». Le XXIXe convoi avait quitté Drancy, le 7 septembre très exactement à 8 heures 5542. Le 9 , après l’arrêt de Kozel, il est arrivé à Auschwitz où le médecin S.S. Kremer prend part «le soir» à la cinquième «action spéciale» de son journal43. Aux dires des évadés, c’est «plus morts que vifs» qu’ils sont, quant à eux, «arrivés à Koziel […]». A l’ouverture des «portes», précise le récit, «68 d’entre nous étaient morts». Le témoignage décrit la sélection pratiquée à Kozel parmi les déportés du XXIXe convoi.

«Tous les Juifs de 16 à 50 ans ont été pris pour de durs de travaux dans les mines des environs», rapporte Notre Voix. «Les autres, enfants, vieillards, femmes faibles et malades, ont été conduits à Oschevitz [sic], le camp pour Juifs “inutiles”, ou, comme […] bourreaux l’appelaient cyniquement le “camp à faire crever”. Au moment du transfert à Oschevitz», continue le récit des évadés, «des scènes indescriptibles se produisirent: de jeunes enfants de 10 à 12 ans se donnaient comme âges de 16 ans ; des vieillards de 70 ans déclaraient en avoir 50, et des malades qui ne pouvaient pas se tenir sur leurs jambes, se déclaraient aptes au travail, car chacun savait qu’Oschevitz signifie une mort immédiate et terrible».

La rumeur d’«Oschevitz»

Cette description porte l’empreinte des huit mois d’expérience concentrationnaire des deux évadés dans les commandos de travail de Haute Silésie. En 1943, eux, ils savent ce que signifie «Oschevitz». Décrivant les sentiments des déportés qui poursuivirent le voyage jusqu’à Auschwitz en 1942, ils se réfèrent d’ailleurs à ce que ces derniers ne pouvaient pas connaître. 

«Il arrivait souvent, indique le récit, […] que des malades graves travaillaient de peur d’être envoyés à Oschevitz. Pendant plusieurs jours, ils se traînaient au travail jusqu’à ce qu’ils tombent épuisés. Les bourreaux se jetaient alors sur eux et les achevaient à coups de botte. De telles scènes se déroulaient presque journellement».

Le témoignage révèle ici sa pleine signification. Il renseigne sur les «conditions» qui «à Koziel étaient si terribles que tôt ou tard, ça se terminait pour la plupart des internés, sinon par la maladie et Oschevitz, alors par la mort à Koziel même».

La proximité d’Auschwitz et de ses installations d’extermination rendait plus vulnérable le sort des forçats juifs dans les camps de travail de Haute Silésie. Honig et Salomon identifiant correctement le camp d’extermination, ne disent rien de la façon dont «Oschevitz» appliquait aux Juifs «inutiles» cette «mort immédiate et terrible». Deux autres «Kozéliens» évadés ont rapporté, quant à eux, une version de l’extermination plus horrible — si l’on peut dire — que la mort par les gaz. Léopold Goldwurm et William Herskovic, également Juifs anversois avaient été déportés de Drancy, avec le convoi XXXII, le 14 septembre 1942. Il n’appartient pas à la série du journal de Kremer. Sélectionnés pour le travail à l’arrêt de Kozel, ils se sont évadés du camp de Peiskretcham, près de Gleiwitz en février 1943. Leur retour en Belgique date du 3 mars 194344. Cachés dans le Namurois, ils ont livré leur témoignage au journal en langue yiddish de Charleroi. Ce sont aussi, comme en France, des militants communistes qui publient cet organe. Ils l’ont intitulé Unzer Kampf, (Notre combat) sans s’apercevoir combien un tel titre pouvait avoir, dans cette période hitlérienne de l’histoire, une résonance historique sinistre. Le numéro publié en juin 1943 de cet autre Combat dénonce 

«toute la perfidie et la délectation sadiques des cannibales hitlériens lancés sur les masses juives sans défense et toute la bestialité de ces vampires sanguinaires. Il sera même difficile aux futurs historiens de notre époque, ajoute Unzer Kampf, de trouver les expressions adéquates pour dépeindre la tragédie de cette génération».

Le témoignage que diffuse l’organe clandestin accentue la difficulté. Selon les évadés du camp de Peiskretcham, les enfants juifs déportés:

«qui n’ont pas atteint [l’]âge [de la sélection pour le travail à Kosel] sont expédiés à Oswiecim (une localité située près de la ville de Sosnowice), avec les malades et les vieillards: ils y seront brûlés vifs, dès leur arrivée, dans des fours crématoires construits à cette fin».

Comme les témoins de Notre Voix, ceux d’Unzer Kampf ont appuyé leur témoignage sur l’horreur qu’Auschwitz inspirait aux «musulumans» des autres camps silésiens. Le terme ne figure pas dans ce témoigage d’époque, mais c’est bien d’eux qu’il s’agit dans le récit des évadés. 

«Lorsqu’un des détenus en arrive à présenter les symptômes de l’œdème — résultat de la sous-alimentation accompagnée d’épuisement, rapporte l’organe clandestin belge, les autres le soutiennent et le conduisent au travail: malheur à celui qui se plaindrait d’être malade: c’est le chemin d’Oswiecim sans rémission».

A la «visite médicale», le diagnostic que «le patient ne serait plus apte au travail au bout d’une quinzaine, par exemple» signifie que:

«dans quinze jours, le malade sera brûlé à Oswiecim, brûlé vif. Les forçats ont ainsi peur de se plaindre; ils peinent jusqu’à ce qu’ils tombent d’épuisement et d’inanition. Les morts, on les jette sur un tas d’ordures, les uns sur les autres; quand il s’est amassé une quantité suffisante de cadavres, un camion vient les charger».

Dans ces «camps» qui, dépourvus d’installations d’extermination, sont néanmoins des camps de la mort, «les familles sont séparées: les hommes travaillent ensemble, et les femmes ensemble»; «ils n’ont pas le moindre contact entre eux» et «les uns ignorent tout du sort des autres».

Cette ignorance dont les déportés descendus à Kozel font état dans leur angoisse livre la clef de la sélection opérée avant Auschwitz dans les convois ouest-européens du journal de Kremer. Tous ceux qui ont survécu à la captivité — ils sont rares — sont des hommes. Ils étaient nés entre 1892 et 1927. Honig est de 1904 et après la guerre, il expliquera qu’à Kozel, «seuls les hommes de 15 à 50 ans ont dû descendre45». Né en 1913, le médecin Joseph Jacubowicz, un déporté du convoi VIII de Belgique qui s’est arrêté «dans la nuit du 9 au 10 septembre, à Kozel», se souviendra, lui aussi, que «tous les hommes de moins de 50 ans ont reçu l’ordre de descendre».

«Au moment, écrit-il, où nous nous sommes rangés en colonnes sur le quai de la gare, un garde armé qui s’y trouvait devant moi, nous a textuellement dit, pendant que le convoi s’ébranlait pour poursuivre sa route, que “Sie wurden es besser haben als die andere dort” (Vous serez mieux lotis que les autres là-bas). Il connaissait donc le sort réservé “aux autres” à leur arrivée à Auschwitz».  

Selon ce témoignage, les «autres», ce sont «les femmes et les enfants et les hommes de plus de 50 ans […] ont donc continué le voyage46». Le témoin oculaire Jakubowicz sait ce qui s’est passé dans son wagon. Il avait le numéro 932 dans le convoi VIII. Mais il ignorait comment les déportés des autres wagons avaient réagi à l’ordre de descendre du train. Akiwa Frühauf avait le numéro 30 dans le convoi: né en 1893, ce déporté immatriculé à Auschwitz n’avait pas encore atteint la limite d’âge; cinq ou six wagons plus loin, le numéro 323  Henri Koplewicz, né en 1913, aurait lui aussi dû descendre à Kosel. Sa fiche à Auschwitz signale qu’il a reçu le matricule 63234: il était le septième après Akiwa Frühauf à être accepté au camp47. A Kosel, de toute évidence, tous les hommes âgés de 15 à 50 ans n’avaient pas obtempéré à l’ordre de descendre. Les familles dans les wagons se comportaient plutôt à l’inverse du témoignage publié dans Notre Voix en août 1943. Le père, l’époux risquait la désobéissance pour demeurer avec les siens. Dans le convoi VIII, le décompte des 283 hommes âgés de 15 à 50 ans ne donne pas le nombre exact des personnes restées dans le train. A l’arrivée à Auschwitz, ce furent donc plus de 717 déportés qui descendirent. La sélection retint Frühauf, Koplewicz et 19 autres hommes. Les femmes furent plus nombreuses: on leur a accordé 64 matricules de la série 19295 à 19358. Le décompte des 85 matricules porte au minimum (le chiffre réel est déja supérieur d’au moins deux unités!) à 632 le nombre des déportés qui ne sont pas descendus à Kosel et qui, descendus à Auschwitz, n’ont pas été enregistrés dans le camp. Les enquêtes de l’administration belge des victimes de la guerre et du service international de recherche de la croix-rouge n’ont retrouvé la trace d’aucun des disparus, ni dans les archives des autres camps nazis, ni ailleurs. Ces archives concentrationnaires sont lacunaires: dans ce cas «belge», 934 déportés du 8 septembre 1942 ne laissent plus d’autre mention que leur nom sur la liste «transport VIII» du camp de rassemblement. La répartition des 66 déportés identifiés donne 59 hommes, 4 femmes et 3 garçons ou filles de moins de 16 ans48. L’écart est significatif. Les hommes identifiés sont près de trois fois plus nombreux que les 21 matricules attribués à cette catégorie à Auschwitz: c’est la sélection à Kosel qui en rend compte. Les personnes identifiées relevant de l’autre catégorie sont nettement moins nombreuses: sélectionnées seulement à Auschwitz, elles n’ont pas été, comme les hommes de Kosel, réparties dans d’autres camps avant la dernière année de la guerre.

Comme ce convoi «belge», six autres convois de la série de «Kremer» se sont arrêtés à Kosel. La série comporte aussi deux autres convois qui ne s’y sont pas arrêtés. Ils sont pourtant les plus typiques dans la chronique «spéciale» du médecin S.S. d’Auschwitz. L’arrêt à Kosel est l’exception dans la déportation occidentale49. Sur les 77 convois partis de France, 15 à peine, tous de 1942, s’y sont arrêtés50. Dans le cas belge, ils furent au nombre de 6 — également en 1942 — sur les 27 transports juifs partis de Malines vers Auschwitz. Des 33 convois des Pays-Bas arrivés à Auschwitz jusqu’au départ de Kremer, les deux tiers — 21 — ne laissèrent pas descendre les hommes aptes au travail à la halte de Kosel. Le journal du médecin S.S. d’Auschwitz n’aperçoit toujours qu’un aspect limité de «l’extermination». En chiffre, il s’élève à 6732 déportés des convois ouest-européens disparus aux dates où l’officier S.S. mentionne sa participation à une «action spéciale». Cette estimation est miminale. Sur les 10356 déportés des 9 convois du document Kremer, 2278 hommes de 15 à 50 ans au maximum ont pu descendre à l’arrêt de Kozel. Au moins 8078 déportés sont restés dans les trains. A l’arrivée d’Auschwitz, 1346 matricules leur ont été distribués. Le nombre de 6372 disparus est donc une approximation calculée au plus bas. Il comprend tous les déportés des 9 convois qui ne relevaient de la catégorie autorisée à descendre à Kosel et qui, de surcroît, n’ont pas été retenus pour Auschwitz et ses commandos51.

Dans cette estimation, le chiffre des disparus est toutefois absolument sûr pour les deux convois de «Kremer» qui n’avaient pas fait la halte de Kosel, soit un transport «hollandais», le convoi XXVI et un transport «français», le convoi XLII, en tout 2703 déportés. Décompte fait des 679 matricules attribués à ces convois, il y a bel et bien 2024 personnes qui ne laissent plus d’autre trace dans l’histoire que leur nom sur la «transportlisten» établie au départ. Notant le 12 octobre sa «10. Sonderaktion» sur des gens «aus Holland (1600 personen)» — précisément le convoi XXVI des Pays-Bas, le journal du médecin S.S. d’Auschwitz saisit, à son insu, la déportation occidentale dans ce qu’elle a de plus caractéristique dans l’histoire52. De surcroît, l’officier S.S. révèle, dans cette note du 12 octobre, le lieu où se pratique l’«action spéciale». La note conserve l’impression des «scènes épouvantables devant le dernier bunker53». C’est, à cet endroit, que le témoin S.S. a les yeux de l’horreur.


Notes.

1.Journal de Kremer, p. 231.

2.Ibidem, p. 228.

3.Ibidem, p. 226.

4.Ibidem, p. 230.

5.Ibidem, p. 231.

6. Sur les quinze «actions speciales», le journal mentionne cinq fois la provenance des personnes. Dans quatre cas, il s’agit de déportés arrivés à Auschwitz. Dans deux cas (y compris l’action double du 7 octobre), des détenues du camp des femmes. L’identification historique des quinze «actions spéciales» rélève qu’une seule à peine ne vise pas des arrivants au camps.

7. R. Faurisson traduit «draussen» par «dehors», et non «à l’extérieur». Et, dans cette lecture immédiate, il se complaît à insinuer qu’«historiens et magistrats suppriment traditionnellement le mot “dehors” (draussen) pour faire dire à Kremer que cette action se déroulait dans une “chambre à gaz”» (voir «Une lettre de M. Faurisson», dans Le Monde, 16 janvier 1979). Le manque de rigueur dans la référence aux documents d’histoire nourrit ces insinuations abusives. A cet égard, on utilisera avec la plus extrême prudence les extraits du journal de Kremer publié dans Justiz und NS Verbrechen, Coll. Urteiten Samenlungen, University Press of Amsterdam, 1977, vol. XVII, p. 500-507 ss. Repris au dossier de l’affaire Kremer à Munster, le texte comporte plusieurs erreurs dont, à la date du 2 septembre, précisément l’omission de «draussen». Le 6 septembre néanmoins, la «Sonderaktion draussen» est publiée correctement.       

8. Les «musulmanes» ruinent l’interprétation que J.G. Cohn-Bendit, «révisionniste» modéré, avance dans son «Analyse du journal de Kremer». De l’exploitation dans les camps à l’exploitation des camps, une mise au point de la Guerre Sociale, Paris, 1981, oppose sa lecture aux «spéculations de Wellers, de Vidal-Naquet, ainsi qu[’à] celles de Faurisson» (p. 16). Cohn-Bendit exploite le «aus» des «Sonderaktion». Dans «Sonderaktion aus Holland», il n’y a pas — et dans aucun cas, a lu Cohn-Bendit — une relation grammaticale entre des personnes et Sonderaktion. Il ne s’agirait donc pas d’une action exercée directement sur des personnes. «Selon la structure grammaticale, écrit-il, c’est bien la Sonderaktion qui est en provenance de Hollande». Kremer parlerait donc chaque fois de l’arrivée ou du départ d’un transport. En suivant Cohn-Bendit et en l’absence du «aus», le lecteur ferait partir les «musulmanes» avec des «gens de l’extérieur» arrivant au camp, lors de la «Sonderaktion» unique du 7 octobre 1942!

9. R. Faurisson, spécialiste de la critique des textes littéraires passé à celle des documents d’histoire, estime quant à lui que «cette note est claire. Le Dr. Kremer a ici affaire à des femmes dites “musulmanes”» (voir R. FAURISSON, Mémoire en défense, p. 32). Ce qu’elles étaient ne ressort pas du document Kremer. Pour en lire le sens, il lui faut également recourir à d’autres sources. En histoire, il ne peut pas chercher «midi à midi». «Je cherche midi à midi», avait dit Faurisson avant d’être connu comme «historien révisionniste» (dans Les Nouvelles Littéraires, 10-17 février 1977). «Les textes», expliquait-il dans cette interview, «n’ont qu’un sens ou bien il n’y a pas de sens du tout». (Cité d’après N. FRESCO, Les redresseurs de morts dans Les Temps Modernes, no  407, juin 1980, p. 2154.)

10.Journal de Kremer, p. 228, n.53.

11. cité dans H. LANGBEIN, Hommes et femmes à Auschwitz, Fayard, Paris, 1975, p. 93.

12.Ibidem, p. 331.

13.Ibidem, p. 91-92.

14.Ibidem, p. 90.

15. Ni le témoignage des médecins anciens détenus ni celui de l’ancien médecin S.S. Kremer ne portent sur des femmes atteintes de typhus. Faurisson, utilisant la déposition de Kremer sur ces «musulmanes» s’autorise néanmoins à affirmer qu’elles étaient «atteintes de la maladie […]. Le typhus était passé par là» (R. FAURISSON, Mémoire en défense, p. 32).

16.Journal de Kremer, p. 236.

17. La provenance du convoi du 7 octobre 1942 n’est pas connue. Non plus le nombre de personnes arrivées au camp. L’«action spéciale» à laquelle elles sont soumises laisse entrer au camp 98 hommes et femmes qui y sont immatriculés (Voir le Journal de Kremer, n.77, p. 236).

18.Le journal de Kremer, n 71, p. 234.

19. Ainsi, le 8 novembre, Kremer note même trois «actions spéciales», dans sa numérotation: les douzième et treizième «cette nuit», et «dans l’après-midi, donc la quatorzième». (Voir Journal de Kremer, p. 244). 

20. A ce stade de la découverte du journal de Kremer, on s’abstient provisoirement de parler de sélection pour l’«action spéciale», mais on n’oubliera pas cette indication que l’auteur du document ne les confond pas.

21.Journal de Kremer, p. 233.

22. La quatorzième «action spéciale» de Kremer, le 8 novembre 1942, pourrait éventuellement faire exception. Le journal ne mentionne rien sur la provenance des personnes qui en sont l’objet. Aucune source ne recoupe le document. Danuta Czeh ne reprend pas cette «action spéciale» dans le «Calendrier» d’Auschwitz. L’édition critique du journal (note 98, p. 244) ne l’identifie pas non plus. Comme l’«action spéciale» s’était déroulée «cette nuit» selon le Journal de Kremer, il pourrait s’agir d’un convoi du Ghetto de Ciechanow arrivé le 7. C’était le cas de l’«action» du 12 octobre «la nuit» contre un convoi arrivé la veille, mais ici, la note même de Kremer identifiait l’origine du convoi, la «Hollande»

23. Quelques feuilles de la liste chronologique de l’enregistrement par séries de matricules de détenus à Auschwitz sont reproduites dans Hefte von Auschwitz, no  3/1960, p. 113-114. Les séries de matricules correspondant à la période de Kremer sont publiées dans D. CZECH, «Kalendarium der Ereignisse in Konzentrationslager Auschwitz-Birkenau» (Le calendrier des événements), dans Hefte von Auschwitz, no  3, 1960. Les pages 85-102 couvrent la période de Kremer à Auschwitz. La liste des matricules pour cette période a été vérifiée sur les photographies du document original qu’a consulté Christian Dupont. Historien de formation et journaliste à la Radio-Télévision Belge Francophone, il a rapporté de son enquête en Pologne toute une documentation filmée par son équipe à partir des pièces d’archives originales en vue de l’émission du service historique sur Auschwitz ou la mémoire qui revient. Voir également Ministère de la Santé Publique (Belgique), Rap. 429 Tr 178.165/39, le 23 avril 1963. Nummerbesetzung im Konzentrationslager, liste établie par le Service International de Recherche de la Croix-Rouge, à Arolsen sur base de ses archives et de la documentation et des travaux du Musée d’Auschwitz; à ce propos, le «calendrier» qui fait référence au journal de Kremer comporte, tout remarquable que soit ce travail, des inexactitudes pour ce qui est de la déportation «occidentale». La notice technique de S. KLARSFELD, dans Le Mémorial de la déportation des Juifs de France les a redressées pour la France; la présente étude en rectifie d’autres pour la Belgique et les Pays-Bas, dans ce cas grâce aux recherches les plus récentes de G. Hirschfeld communiquées à l’auteur.

24. Aucun homme du convoi XVI de Westerbork n’a été immatriculé.

25.US-War Refugee Board: German Extermination Camps - Auschwitz and Birkenau, executive Office of the President, Washington, D.C., novembre 1944.

26. Voir le Rapport sur les camps de concentration d’Auschwitz, Birkenau et Maïdanek rédigé par Rudolf Vrba et Fred Wetzler, le 25 avril 1944 , publié dans R. VRBA et A. BESTIC, Je me suis évadé d’Auschwitz, Paris, 1988, p. 361-362. (Rudolf Vrba s’appelait Walter Rosenberg).

27. L’auteur «révisionniste» W. Stäglich n’en écrit pas moins que «le degré de “précision” éveille la méfiance. Il n’est pas imaginable qu’un détenu, en admettant même qu’il ait fait partie de la hiérarchie du camp ait pu obtenir toutes ces précisions. Et je fais abstraction ici du facteur restitution de tous ces chiffres qui aurait exigé une mémoire hors du commun». (Voir W. STÄGLICH, Le Mythe d’Auschwitz , p. 125).

28. Le tableau chronologique des convois de déportation de S. Klarsfeld donne 928 personnes, mais la notice sur le convoi VII signale 1000 personnes. Voir S. KLARSFELD, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France.

29. Ont aussi été immatriculées 64 femmes dans la série de 19295 à 19358.

30. Le plus souvent, la cartothèque nazie du camp d’Auschwitz est tout aussi lacunaire que celle des autres camps de concentration. Si 8299 matricules ont été attribués à Auschwitz aux 28 convois de Belgique, les archives de la captivité permettent d’identifier seulement 3083 déportés raciaux.

31.Archives du Musée d’Auschwitz, fiche d’Akiwa Frühauf, matricule 63227.

32. Ministère de la Santé Publique et de la Famille. Administration des victimes de la guerre. Service documentation et recherche, Transport VIII. Voir quelques pages de la liste originale, de la page 53 à la page 58, dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique.

33. Voir M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, 1942, les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, Vie Ouvrière, Bruxelles, 1984, t. II p. 211.

34. Si son épouse et sa fille n’ont pas survécu à l’arrivée à Auschwitz, Akiwa Frühauf, lui, n’a pas survécu à la captivité.

35. Pour les Pays-Bas, voir Auschwitz, Ed. Het Nederlandsche Rood Kruis, ‘s Gravenhage, vol. I, 1945 et, sous le même titre, les quatre fascicules, publiés en 1947, 1948, 1952 et 1953. Sur l’histoire de la déportation «néerlandaise», voir L. DEJONG, Het Koninkrijk der Nederlanden in de Tweede Wereldoorlog, Gevangenen en gedeporteerden, 1978, tome VIII, vol. I et IIe partie, p. 708. Une étude de G. HIRSCHFELD, «Die Opfer der nationalsozialistischen Endlösung in den besetzten Niederlanden», sera publiée dans Die Zahl der jüdischen Opfer des Nationalsozialismus, hrsg. Wolfgang Benz, que prépare l’Institut d’Histoire Contemporaine de Munich. Les chiffres des convois «hollandais» qui identifient ici les «actions spéciales» du journal de Kremer sont de G. Hirschfeld.

36. Pour la Belgique, le document de base est la liste alphabétique des personnes arrêtées par l’autorité occupante en tant qu’israélite ou tziganes et déportées par les convois partis du camp de rassemblement de Malines, entre le 4 aout 1942 et le 31 juillet 1944, document multigraphié du Ministère de la Santé Publique et de la Famille, Administration des victimes de la guerre; voir aussi Tableau récapitulatif des Israélites et Tziganes déportés du camp de rassemblement de Malines vers les camps d’extermination de Haute-Silésie, constitué sur base de la documentation en possession du Ministère de la Santé Publique et de la Famille, à la date du 1er septembre 1979. La liste alphabétique, ainsi que les statistiques et leur interprétation ont été publiées par S. KLARSFELD ET M. STEINBERG, Le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, Bruxelles-New York, 1982.

37. S. KLARSFELD, «Introduction» dans Le Mémorial de la déportation des Juifs de France. Le titre de son ouvrage n’est nullement «tendancieux». Ce «n’est» pas «qu’une liste de Juifs qui ont été embarqués dans les trains de la déportation», comme le laisse croire la Réponse à Pierre Vidal-Naquet de R.Faurisson (p. 22). S’«il ne s’agit» en effet «pas d’une liste de morts comme on le donne souvent à entendre» selon Faurisson, c’est qu’elle comporte moins de 3% de survivants! L’avocat S.Klarsfeld, historien de formation, n’a pu, faute de disposer du résultat de recherches administratives d’un quelconque organisme officiel ou ministériel, identifier sur les listes de déportation les personnes disparues. Dans Le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, Klarsfeld qui s’est chargé de la reproduction de la liste alphabétique officielle des déportés, a pu précisément, grâce au matériel documentaire disponible, indiquer nommément ceux qui avaient été rapatriés, à peine 4,77% en l’occurrence.

38. Voir R. VRBA et A. BESTIC, Je me suis évadé d’Auschwitz, p. 388. Une note de la traduction française s’autorise à prétendre — et ce encore en 1988 — qu’à l’exception du chiffre rectifié par Le mémorial de la déportation des Juifs de France, «aucun autre des chiffres cités par Wetzler et Vrba n’a été contesté». L’estimation du nombre de Juifs gazés mentionnait «50000» déportés de «Belgique» et «100000» de «Hollande». Ces chiffres du rapport Rosenberg-Wetzler ne sont pas seulement contestables. Ils sont tout aussi erronés que l’attribution des séries de matricules aux déportés d’Europe occidentale.

39. Une autre répartition n’est pas à exclure, soit 5 de France, 2 des Pays-Bas et 3 de Belgique. La «Sonderaktion aus Holland (1600 persone)» du 12 octobre pose, en effet, un problème d’identification. Convient-il de se fier à l’indication de Kremer sur l’origine «hollandaise» de ces déportés? Le convoi XXVI des Pays-Bas — 1703 personnes au départ — n’est pas arrivé, le 12, mais le jour précédent, le 11. Le 12 arrivent des déportés de Belgique: ils étaient au nombre de 1574 quand les convois XII et XIII, partis de Malines le 10, ont passé la frontière germano-belge. Ces deux convois, probablement regroupés en un seul transport au cours de leur traversée de l’Allemagne, s’arrêtent à Kozel: le convoi XII de 999 déportés comportait 202 hommes âgés de 15 à 50 ans, le convoi XIII de 675 déportés en comptait 156. Au plus arrivent à Auschwitz 1216 déportés dont 28 hommes et 88 femmes sont immatriculés dans la même série de numéros. 1100 déportés disparaissent, ce 12 octobre. L’«action spéciale» de Kremer a eu lieu «la nuit». S’agit-il de la nuit du 11 au 12 octobre, auquel cas, comme il l’écrit, l’«action» s’appliquerait bien au convoi «hollandais» dont les déportés ont été immatriculés le 11. Mais la note de Kremer débute par la mention de sa deuxième vaccination qui a provoqué une forte fièvre. «Malgré cela», il participe «la nuit» à une «Sonderaktion». Serait-ce alors dans la nuit du 12 au 13 sur le convoi «belge» arrivés le 12? C’est peu probable: Kremer l’aurait notée, à la date du 13, et non du 12. Le problème reste entier car c’est le 12 que sa «deuxième vaccination […] a provoqué une forte réaction générale dans la soirée (fièvre)», écrit-il. Le fait que le 12 octobre soit un lundi fournit peut-être la solution du problème. Le 11 aurait été un jour férié pour le commando du S.S. Hössler opérant aux chambres à gaz et la mise à mort des déportés« hollandais», arrivés le 11, aurait été effectuée le 12 avant le gazage des «Belges».

40.«Deux témoignages vivants sur les abattoirs de Pologne, un avertissement, un appel à la vigilance, à la résistance, à la lutte», dans Notre Voix, 1er août 1943, reproduit dans S. COURTOIS et A. RAYSKI, Qui savait quoi? L’extermination des Juifs 1941-1945, Paris, 1987, p. 201-203.

41. Ministère de la Santé Publique-Belgique, dossier de Honig, Ignacy, né le 23 juillet 1904. Déclarations d’Ignacy Honig, de Chaïm Salomon, né le 18 mai 1906.

42. Voir la notice sur le convoi no  29 en date du 7 septembre 1942, citant le télex adressé par H. Röthke, le chargé des affaires juives à Berlin, à Orianenburg et à Auschwitz, dans S. KLARSFELD, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France.

43.Journal de Kremer, p. 231. La note 62 du Musée d’Oswiecim renseigne, à cette date, l’arrivée d’un convoi de Westerbork, parvenu en fait, le jour précédent. Cette erreur d’identification fausse également, du moins pour un convoi, la lecture d’une première version de cette étude publiée sous le titre «Les yeux du témoin et le regard du borgne. lecture critique d’un génocide au quotidien», dans Cahiers du Centre de Recherches et d’Etudes historiques de la Seconde Guerre mondiale, 12, mai 1989, p. 31-84.  

44. Sur les évadés de Haute-Silésie, voir M. STEINBERG, L’Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, vol. I, p. 250-254.

45. Ministère de la Santé Publique-Belgique, dossier de Honig, Ignacy, né le 23 juillet 1904. Déclaration non datée d’I. Honig.

46. Lettre de Joseph Jakubowicz à l’auteur, Bruxelles, le 12 octobre 1987.

47. Archives du Musée d’Auschwitz, fiche de Koplewicz, Henri, matricule 63234. Kopléwicz est né le 21 décembre 1913.

48. Voir S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique (non paginé).

49. La Réponse à Pierre Vidal-Naquet (p. 44) de Faurisson accepte néanmoins l’argument purement rhétorique de son éditeur, P. Guillaume, que les déportés non enregistrés à Auschwitz, «allaient» à «Kielce», à Kosel, corrige l’expert en «révisionnisme». (voir P. VIDAL-NAQUET, Les Assassins de la Mémoire, p. 64 n.89).

50. Serge Klarsfeld a estimé la sélection pour le travail à 4000, sur la base des âges. Le 1er avril 1944, 3056, rattachés au complexe d’Auschwitz, y étaient immatriculés.

51. Dans les procédures judiciaires contre Kremer, il n’a pas été tenu compte de la sélection de Kosel. Jerzy Rawicz, auteur de la traduction polonaise du document Kremer original et préfacier de l’édition scientifique du Musée d’Oswiecim, a écrit qu’«au cours de son bref séjour à Auschwitz, [le médecin SS] a réussi à envoyer 10717 hommes, femmes et enfants sur 12291 à la chambre à gaz» (Journal de Kremer, p. 29). En 1960, le ministère public de Munster a impliqué la responsabilité personnelle de l’ancien médecin S.S. dans la mort d’au moins 7735 personnes (Justiz und NS Verbrechen, vol. XVII, p. 21). Le chiffre de Munster plus proche des 6732 de cette étude est le moins bien établi. La copie du journal dont s’est servi le parquet ne comporte pas les «bonnes» dates. Dans cette version Munster, 10 «actions spéciales» de Kremer concernaient des convois d’Europe occidentale: 5 de France, 2 seulement des Pays-Bas et 3 ou 4 de Belgique. La vérification sur le manuscrit original de Kremer établit l’erreur du parquet de Munster.

52. La note de Kremer n’est pas pour autant la plus sûre. Le XXVIe convoi parti des Pays-Bas, le 9 octobre, achemina plus de déportés qu’il ne le signalait: ils étaient au départ 1703.

53. Voir Le journal de Kremer, p. 237.