Une visite à l'Institut anatomique de Danzig



Extraits de Zofia Nalkowska, « Professor Spanner », dans Medaliony, Varsovie, Czytelnik, 1946. Reproduit dans Adam Gillon and Ludwik Krzyzanowski, Introduction to Modern Polish Literature, New York: Twayne Publishers, 1964, p. 130-136.

Ce texte est la description de la visite, en mai 1945, par Zofia Nalkowska de l'Institut anatomique de Danzig, où des Allemands tentèrent de fabriquer du savon à partir de graisse humaine, et de l'interrogatoire d'un laborantin qui y travailla, Sigmund Mazur, interrogé le 12 mai 1945. Il est le résultat d'un travail de recherche effectué par John Drobnicki. Texte original sur le site de Nizkor. Traduction par Gilles Karmasyn (mai 2000).


Ce matin là nous nous y rendimes pour la deuxième fois. C'était une journée de mai lumineuse et fraîche... Nous savions déjà ce que nous allions voir.

Cette fois nous étions accompagnés par deux personnages vénérables. Ils étaient venus en tant que « collègues » de Spanner. Ils étaient tous les deux professeurs, tous les deux des docteurs, des scientifiques...

[...]

Le modeste bâtiment de briques se trouvait au coin d'une cour un peu sur le coté, une annexe sans importance du grand bâtiment qui abritait l'Institut anatomique.

Nous sommes d'abord descendu dans le sous-sol sombre et encombré. Dans la lmumière qui arrivait de biais depuis des fenêtres haut palcées, les morts était allongés comme la veille. Leurs jeunes corps d'un blanc crémeux, qui ressemblaient à celui de sculptures, étaient en parfaite condition, bien qu'ils aient attendu plusieurs mois le moment où l'on aurait plus besoin d'eux.

[...]

Nous sommes passé d'une baignoire remplie de corps à une autre et chacun des deux étrangers marchait et regardait. C'était des docteurs et ils savaient mieux que nous de quoi il en retournait. Quatoreze corps aurait suffi aux besoins de l'Institut anatomique. Ici, il y en avait trois cent cinquante.

[...]

Nous passâmes avec les deux professeurs dans la petite maison rouge et nous y vîmes sur un foyer éteint un vaste récipient rempli d'un liquide sombre. Quelqu'un de familier avec la procédure souleva le couvercle avec tisonnier et ramena à la surface un torse humain dégoulinant, cuit jusqu'aux os.

Il n'y avait rien dans les deux autres récipients, mais à proximité, sur un rang d'étagères dans une vitrine, il y avait des crânes et des ossements qu'on avait fait bouillir jusqu'à ce qu'ils soient nets.

Nous avons également vu une large cage thoracique avec des couches et des couches de peau humaine finement préparée, débarassée de graisse. Des jares de soude caustique se trouvaient sur l'étagère, et un chaudron contenant de la caustique était attaché au mur. Il y avait un grand four pour brûler les restes et les ossements.

Enfin, sur une table élevée, se trouvaient des morceaux de savon blanchâtres et grumeleux ainsi que plusieurs moules de métal contenant du savon sec.

[...]

Le jeune homme mince au ton cireux et aux yeux bleus qui témoigne devant la Commission a été amené de la prison pour enquête. Il n'a aucune idée de ce que nous attendons de lui.

Il parle posément, gravement et avec tristesse. Il parle le polonais, bien qu'avec un accent étranger, en roulant un peu les r.

Il déclare qu'il est natif de Gansk. [...] Il a été fait prisonnier pendant la guerre, mais s'est échappé. Il a travaillé à déblayer la neige dans les rues et dans des fabriques de munitions. Il s'est de nouveau enfui. Tout cela s'est plus ou moins passé à Gdansk.

Lorsque son père a été emmené dans un camp de concentration, un Allemand est venu s'installer chez sa mère. Et c'est comme ça qu'il a fait la connaissance du professeur Spanner.

[...]

Ce coté de l'aile a été achevé en 1943 pour une installation d'incinération. À cette époque, Spanner s'était arrangé pour obtenir une machine séparant la chair et la graisse des os. Des squelettes devaient être farbiqués à partir de ces os. En 1944, le professeur Spanner a demandé à ses étudiants de conserver la graisse des morts séparément. Chaque soir, lorsque les cours étaient finis et que les étudiants étaient partis, des récipients de graisse étaient emportés par des employés. Il y avait aussi des récipients avec des tissus musculaires et de la chair. En fait, ils jetaient la chair ou la brûlaient. Mais les habitants de la ville se plaignaient à la police et le professeur ordonna que l'on procède aux incinérations de nuit à cause de la puanteur trop forte.

Les étudiants eurent aussi à retirer la peau proprement, puis la graisse proprement, puis -- d'après les instructions écrites -- les muscles des os. La graisse retirée par les employés reposa tout l'hiver puis;, lorsque les étudiants partirent fut transformée en cinq ou six jours en savon.

Le professeur Spanner et le premier assisant von Bergen ont aussi rassemblé de la peau humaine. Ils s'apprêtaient à en faire quelque chose.

« Le premier assistant, von Bergen, était mon supérieur direct. Le Dr Wohlmann était l'assistant du professeur Spanner. Le professeur Spanner était un civil, mais été enregistré par la SS comme médecin » Le prisonniers ne sait pas où le professeur Spanner se trouve à présent. « Spanner est parti en janvier 1945. Lorsqu'il est parti, il nous a dit de travailler sur la graisse collectée pendant le semestre; il nous a ordonné de faire du savon et de l'anatomie correctement et de tout garder en ordre de façon à ce que cela garde un aspect humain. Il ne nous a pas dit d'enlever la recette, ou peut-être a-t-il oublié. Il nous a dit qu'il reviendrait, mais il n'est pas revenu. Lorsqu'il est parti, son courrier l'a suivi à l'Institut d'anatomie de Halle an der Saale »

[...]

« Quelle était la recette? »

« La recette était accrochée au mur. Une assisante, qui venait de la campagne, a apporté une recette de savon et l'a recopiée pour nous. elle s'appelait Koitek... »

« Le savon fait d'après la recette fut toujorus réussi. Une fois seulement cela échoua. C'est le dernier lot, qui est sur la table. Il n'est pas bon. »

« Le savon était fabriqué dans l'incinérateur. Le Dr Spanner lui-même dirigeait la production avec l'assistance de von Bergen, celui qui avait l'habitude de ramener les corps. Est-ce que je suis jamais allé avec lui? Oui, l'y suis allé, à deux reprises seulement. Et aussi une fois à la prison de Gdansk.

« Les corps étaient d'abord amené d'asiles de fous, mais plus tard ces corps n'ont pas suffi. Alors Spanner a écrit à tous les maires des villes pour leur dire de ne pas enterrer les morts, que l'Institut enverrait les chercher. On en a ammené des camps du Stutthof, ceux des condamnés à mort de Koenigsberg, d'Elblag, de toute la Poméranie. Jusqu'à ce qu'une guillotine soit installée à la prison de Gdansk, il n'y avait pas assez de corps...

« Il s'agissait principalement de corps de Polonais, mais une fois il y eut aussi ceux de soldats allemands, décapités dans la prison pendant la fête. Et une fois, quatre ou cinq morts avec des noms russes.

« Von Bergen ramenait toujours les corps de nuit »

« Quelle sorte de fête était-ce »

« La fête avait lieu à la prison. Il s'agissait de l'inauguration de la guillotine. Le chef, Spanner, et d'autres personnes furent invitées. Le chef nous a emmené, von Bergen et moi...

« Une fois, von Bergen et Wohlmann ammenèrent une centaine de corps de la prison.

« Mais plus tard, Spanner voulut des corps avec la tête. Il ne voulait pas non plus de corps de personnes fusillées; ils donnaient trop de travail; ils pourissaient trop vite et sentaient... Les corps provenant des asiles avait leur tête.

[...]

« Personne n'était supposé être au courant de la production de savon. Spanner interdit même d'en parler aux étudiants. Mais il jetaient parfois un coup d'oeil par ici et ensuite se racontaient les uns aux autres, aussi peut-être qu'ils étaient tous au courant... Et un jour on appela même des étudiants pour aider à la cuisson avec l'incinérateur. Mais seuls le chef, le premier assistant, moi-même, et deux employés allemands avaient un accès quotidien à la production. Le savon une fois achevé était récupéré par le Dr Spanner et était à sa disposition.

« Le savon fini?... quand il est prêt, il est d'abord mou -- en fait, il doit refroidir. Ensuite nous devions le couper. Et Spanner l'enfermait. Il n'y avait pas que du savon, il y avait aussi une machine. Nous y avions accès tous les cinq. Si d'autres voulaient entrer, il leur fallait demander la clef.

« Pourquoi était-ce secret? »

Il y réfléchit un long moment. Il essayait de répondre du mieux qu'il le pouvait.

« Peut-être que Spanner avait peur, ou quelque chose comme ça... » dit-il après réflexion. « A mon avis, si quelqu'un, un civil de la ville, en avait entendu parler, peut-être cela aurait-il fait du bruit... »

[...]

Quelqu'un lui demanda finalement « Est-ce que personne ne vous a dit que c'était un crime de fabriquer du savon à partir de graisse humaine? »

Il répondit avec une candeur totale: « Non personne ne me l'a dit ».

[...]

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11/05/2000