Les falsifications de Rassinier

Quand Rassinier accuse Raul Hilberg de «tuer» deux fois les Juifs de Simferopol


Rassinier a une spécialité: il donne des leçons de rigueur sur un ton péremptoire et condescendant. Comme tous les négationnistes, il est atteint d'une double affliction: une auto-satisfaction pathologique et un mépris total de ceux qu'il dénigre et accuse, à grand tort, de toutes les turpitudes. Ainsi, il a accablé le spécialiste de l'histoire de la Shoah, Raul Hilberg de tous les défauts possibles.

En 1961, Raul Hilberg publiait son très important ouvrage, The Destruction of the European Jews, Quadrangle Books, 1961. Une version remaniée et enrichie est parue en français en 1988: La destruction des Juifs d'Europe, Fayard, 1988. Peu après la parution de l'ouvrage en 1961, l'imposteur Rassinier, publiait ses "critiques" du travail de Hilberg. Examinons une de ces "critiques". Elle concerne le massacre des Juifs de Simferopol, une des principales villes de Crimée.

Rassinier écrit en 1964 :

«A descendre dans le détail, on n'en finirait pas de citer les entreprises de sollicitation des faits dont M.Raul Hilberg s'est rendu coupable: [...] les juifs qu'il fait mourir deux fois, comme ceux de Simféropol "libérée de 10.000 juifs qui y vivaient en décembre 1941 pour que l'armée puisse passer la Noël tranquille" (p. 192), puis "exterminés en février 1942" (p. 245)»

(Paul Rassinier, Le Drame des Juifs européens, les Septs Couleurs, 1964, p. 31-32)

 
Passons sur le fait que nulle part dans son ouvrage, Rassinier n'est capable de donner la référence exacte du livre de Hilberg. Pourtant il martelle les numéros des pages des passages prétendument cités. Il s'agit évidemment d'en mettre plein la vue au lecteur en lui donnant l'impression que lui, Rassinier, a travaillé sérieusement. On va bientôt voir ce qu'il en est. Passons aussi sur le fait qu'à la page 192 de The Destruction of the European Jews, Hilberg n'évoque nulle part le destin des Juifs de Simferopol. Simferopol n'est d'ailleurs pas citée avant la page 198. De toutes évidences, le donneur de leçons de rigueur Rassinier a "confondu" avec la page 199. Nous allons donc examiner ce que Hilberg a vraiment écrit, et comment Rassinier l'a rapporté.

Relisons le passage de Rassinier ci-dessus. Ne craignons pas d'enfoncer le clou de sa thèse et de paraphraser. Sa thèse prétend que Hilberg fait mourir deux fois les Juifs de Simferopol. A l'appui de cette thèse, Rassinier cite deux fois Hilberg.

Confrontons Rassinier et la réalité:

Citations que Rassinier prête à Hilberg Hilberg écrit (version 1961) Hilberg écrit (version française 1988)
[Simféropol] «libérée de 10.000 juifs qui y vivaient en décembre 1941 pour que l'armée puisse passer la Noël tranquille»
 
(Rassinier prétend qu'il s'agit de la page 192, mais il ne peut s'agir que de la page 199)
«In Simferopol, the Crimean capital, the eleventh Army, simply decided that it wanted the shooting to be completed before Christmas. Accordingly, Einsatzgruppe D,with the assistance of army personnel and with army trucks and gasoline, completed the shootings in time to permit the army to celebrate Christmas in a city without Jews»
 
(p. 199)
 
«A Simferopol, capitale de la presqu'île, la 11e armée décida que tout devait être terminé pour Noël. Avec l'aide de celle-ci, qui fournit des hommes, des camions, et de l'essence, l'Einsatzgruppe accomplit sa besogne dans les délais et permit aux militaires de célébrer les fêtes dans une ville purgée de Juifs»
 
(p. 263)
[Les Juifs de Simferopol] «exterminés en février 1942»
 
(p. 245)
«Einsatzgruppe D in the Crimea reported on February 18, 1942, that almost 10,000 Jews had now been killed in Simferopol -- 300 more than had originaly registered there15
 
[note de bas de page n° 15] 15. RSHA IV-A-1, Operational Report USSR No. 170, February 18, 1942, NO-3339.»
 
(p. 245)
«En Crimée, L'Einsatzgruppe D annonçait le 18 février 1942 qu'à cette date, on avait tué à Simferopol près de 10 000 Juifs, soit environ 300 de plus qu'il n'en avait été enregistré19
 
[note de bas de page n° 19] 19. RSHA R. 170, 18 février 1942, NO-3339»
 
(p. 322)

On pourrait presque se passer de commentaires. Mais étant données les prétentions à la rigueur de Rassinier, ses vitupérations contre les "manipulations" de Hilberg, et la vénération que portent les négationnistes au guru posthume de leur secte, il convient d'enfoncer le clou.

1) La première citation de Rassinier et fausse ou falsifiée. Elle ne correspond aucunement au texte de Hilberg (p. 199), qui ne fait pas mention du nombre de Juifs assassinés en décembre à Simferopol, juste avant Noël. Cependant, le sens que Rassinier prête aux propos de Hilberg est le bon: les Juifs de Simferopol furent assassinés avant Noël, par l'Einsatzgruppe D, à la demande de l'armée.

2) La seconde citation de Rassinier est fausse et falsifiée. En effet, à la page 245 de l'édition de 1961, jamais Hilberg n'a écrit que les Juifs de Simferopol avaient été tués en février 1942. Hilberg écrit que c'est l'Einsatzgruppe D qui rapporte qu'à la date du 18 février 1942, presque 10 000 Juifs avaient été tués. Et pour cause, ils avaient pratiquement tous été tués en décembre 1941. Contrairement aux allégations de Rassinier, basées sur des falsifications du texte original, Hilberg ne fait pas mourir deux fois les Juifs de Simferopol. Le cours des événements retracés par Hilberg est complètement cohérent. On peut se reporter à l'édition de 1988 pour confirmation.

Rassinier est un vulgaire falsificateur. On est ébahi de constater que dans un même mouvement Rassinier accuse Hilberg de solliciter les faits et Rassinier falsifie ce qu'Hilberg écrit vraiment!

 
Un peu d'histoire...

On peut creuser encore un peu plus le sujet du massacre des Juifs de Simferopol. Hilberg cite le rapport d'opérations URSS No. 170 de l'Einsatzguppe D. Les rapports d'opérations URSS étaient des rapports où le bilan des activités des Einsatzgruppen, principalement de leurs campagnes d'assassinats de masse, était régulièrement consigné. Le rapport d'opérations URSS No. 170 est daté du 18 février 1942. On y lit, entre autres, parmi la liste des activités de l'Einsatzgruppe D:

«La recherche de Juifs isolés qui, jusqu'à maintenant, avaient échappé aux exécutions en se cachant ou en donnant de faux renseignements personnels, s'est poursuivie. Du 9 janvier au 15 février, plus de 300 Juifs ont été arrêtés à Simferopol et exécutés. Avec eux, le nombre de personnes exécutées à Simferopol atteint presque 10 000 Juifs, environ 300 de plus que le nombre de Juifs enregistrés.»

(cité dans The Einsatzgruppen Reports, édité par Yitzhak Arad, Shmuel Krakowski, Shmuel Spector, The Holocaust Library, New York, 1989, p. 296)

Hilberg a parfaitement respecté le contenu des sources. On déduit facilement de ce rapport que la majorité des 10 000 Juifs de Simferopol assassinés par l'Einsatzgruppe D, l'ont été avant le 9 janvier, puisque "seulement" 300 ont été exécutés entre le 9 janvier et le 15 février. D'ailleurs dans le rapport d'opérations URSS No. 153, daté du 9 janvier, on peut lire:

«A Simferopol, en plus des Juifs, les questions tziganes et krimchaks sont aussi résolues. La population a généralement bien accueilli l'élimination de ces éléments.»

(The Einsatzgruppen Reports, op. cit., p. 272. Note: les Krimchaks étaient des Juifs d'Ukraine à la langue et aux rites spécifiques)

Deux remarques: on confirme le sens donné au rapport No. 170, et l'on en profite également pour voir concrètement quel sens les Nazis accordaient à la «résolution» (évoquée dans le rapport No. 153) des questions juives, tziganes, et krimchaks: l'assassinat pur et simple, comme cela est explicité dans le rapport No. 170. On hésite encore? Il suffit de remonter encore un peu dans le temps et de lire le Rapport No. 150, daté du 2 janvier 1942.

«Simferopol, Yevpatoria, Alushta, Krasubasar, Kersh, ainsi que Fedosia et d'autres dictricts de la Crimée occidentale sont libres de Juifs. Du 16 novembre au 15 décembre 1941, 17 645 Juifs, 2504 Krimchaks, 824 Tziganes et 212 communistes et partisans ont été exécutés. En tout, 75 881 personnes ont été exécutées.»

(The Einsatzgruppen Reports, op. cit., p. 267)

Le calendrier devient plus précis. Au 2 janvier 1942, on sait que Simferopol est «libre de Juifs». Et cette expression est immédiatement décodée. Elle signifie que les Juifs ont été exécutés. En l'occurrence, exécutés entre le 16 novembre et le 15 décembre, soit avant Noël. Hilberg avait rapporté les faits conformément à la réalité.

On peut encore mieux situer le massacre de la majorité des Juifs de Simferopol. En effet, on lit dans le rapport d'opérations URSS No. 145, daté du 12 décembre 1941:

«Le nombre total de Juifs est d'environ 40 000. Un quart d'entre eux vivent à Simferopol. [...] Jusqu'à maintenant les exécutions ont été rendues difficiles à cause des conditions climatiques.»

(The Einsatzgruppen Reports, op. cit., p. 256)

Conclusion: au 12 décembre 1941, environ 10 000 Juifs vivaient encore à Simferopol. Au 15 décembre, ils avaient été assassinés. Quelques 300 Juifs supplémentaires seraient retrouvés d'ici février 1942 et exécutés à leur tour.

Faut-il souligner que les témoignages de rescapés corroborent totalement ces faits et ce calendrier? Faut-il souligner que les témoignages des nazis dans leurs procès d'après-guerre corroborent ces faits et ce calendrier? Et c'est ainsi que les vrais historiens travaillent. C'est ainsi que Hilberg a travaillé, sans toutefois donner tout le détail de son travail, mais en en donnant les résultats, et suffisamment d'indications sur ses sources pour qu'un chercheur honnête puisse reconstituer intégralement le déroulement des faits et leur signification.

 
Le travail historique n'intéresse pas Rassinier ou les négationnistes. La réalité des faits, la tragédie des Juifs de Simferopol n'intéressent pas Rassinier.

La technique de Rassinier consiste ici, non pas à discuter les faits, mais à critiquer péremptoirement et avec condescendance la façon dont il prétend que Hilberg les a rapportés, tout en falsifiant ce qu'Hilberg a vraiment écrit... Que le lecteur se reporte au passage de Rassinier cité plus haut. Il peut en mesurer à présent toute l'obscénité et toute la duplicité. Quatre lignes de mensonges qu'il faut réfuter en vingt fois plus. L'auteur de cette étude a pu constater que les innombrables reproches de Rassinier à Hilberg relèvent tous des mêmes mécanismes de falsifications. A bon entendeur...
 

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08/01/2000