Les assassinats par gazages, un bilan

par l’Institut für Zeitgeschichte


Introduction à la version française

Ce texte est la traduction de la version anglaise d’un résumé publié en 1992 par l’Institut für Zeitgeschichte de Munich, l’un des principaux centres de recherche historique allemand sur le régime nazi et le génocide. On peut remarquer que depuis la rédaction de ce texte l’historiographie tend à mieux distinguer les «camps de concentration» stricto sensu des «centres de mise à mort» catégorie dont font partie les centres désignés ci-après dans le texte original par «camps d’extermination», expression qu’il convient désormais de considérer comme impropre dans la mesure où ils ne sont que marginalement des «camps». La notion de «centre de mise à mort» est conceptualisée par l’historien Tal Bruttmann et englobe non seulement les centres de mise à mort industrielle par gazages (Chelmno, Belzec, Sobibor, Treblinka, Birkenau, partiellement Majdanek) mais aussi les centres de mise à mort par fusillades (Babi Yar, les marais du Pripets, les forêts de Ponary, Kovno, partiellement Majdanek). Les remarques entre [] sont dues au traducteur (Gilles Karmasyn). Nous proposons un complément bibliographique après le texte de l’IfZ.


 

Sur l’assassinat par gazage dans les camps d’extermination et de concentration sous le régime nazi.
 

Le meurtre systématique d’êtres humains par l’utilisation de gaz pendant le régime nazi fut employé à partir de janvier 1940 dans le cadre de l’opération T4 prétendument d’«Euthanasie», l’extermination des «vies ne valant pas la peine d’être vécues» des handicapés, handicapés mentaux et malades en phase terminale. à partir de l’automne 1941 cette opération fut continuée sur une bien plus grande échelle par les pogromes [et massacres de handicapés, N.d.T.] entrepris par les Einsatzgruppen de la Police de Sécurité [Sicherheitspolizei, N.d.T.] du SD [Sicherheitsdienst, Service de Sécurité, N.d.T.], dans les territoires conquis, à l’aide des camions à gaz itinérants [les handicapés surent également assassinés par fusillades, N.d.T.].

A partir de décembre 1941, on a commencé à utiliser dans le camp de Kulmhof (le nom polonais de Chelmno) des camions à gaz fixes pour l’assassinat des Juifs, puis à partir de début 1942, des chambres à gaz furent construites dans différents camps, ou des bâtiments existant furent transformés dans ce but [en chambres à gaz, N.d.T.]. [Il s’agit des camps de l’opération Reinhard, Belzec, Sobibor, Treblinka, mais aussi d’Auschwitz-Birkenau, N.d.T.]

Il nous faut distinguer entre les gazages de masse des Juifs dans les camps d’extermination construits à cet effet et les gazages à plus petite échelle dans des camps déjà existant (où des patients, des déportés réduits en esclavage, des prisonniers de guerre et des prisonniers politiques, entre autres, furent également victimes [des gazages, N.d.T.]).
 

Liste des différents camps d’extermination:

Kulmhof (ou Chelmno), dans ce qui était alors le Wartheland, où, entre décembre 1941 et l’automne 1942, puis de nouveau de mai à août 1944, eurent lieu des gazages par monoxyde de carbone contenu dans les gaz d’échappement émis par des moteurs. Au total, plus de 150 000 Juifs ainsi que 5000 Tziganes y furent assassinés.

Belzec (dans le district de Lublin qui faisait alors partie du Gouvernement général): de mars à décembre 1942, d’abord dans trois puis, plus tard, dans six grandes chambres à gaz, environ 600 000 Juifs furent assassinés par gazages au monoxyde de carbone de gaz d’échappement émis par des moteurs.

Sobibor (dans le district de Lublin, dans le Gouvernement général), fut dotée en avril 1942 de trois chambres à gaz, puis en septembre de la même année de six chambres à gaz et fonctionna jusqu’en octobre 1943. Pendant cette période, au moins 200 000 Juifs y furent assassinés par gazages au monoxyde de carbone.

Treblinka (district de Warschau, dans le Gouvernement général) fut dotée de trois chambres à gaz en juillet 1942, puis de dix chambres à gaz supplémentaires plus grandes début septembre 1942. Jusqu’au démantèlement du camp, en novembre 1943, environ 700 000 Juifs y furent assassinés par gazages au monoxyde de carbone.

Majdanek (district de Lublin, Gouvernement général): le camp de concentration qui existait depuis septembre 1941 fut transformé en camp d’extermination lorsque, entre avril 1942 et novembre 1943 des exécutions de masse y eurent lieu. Ces exécutions [par balles, N.d.T.] firent 24 000 victimes juives. En octobre 1942, deux chambres à gaz furent construites, auxquelles une troisième serait ajoutée plus tard. Au début les meurtres y furent accomplis au moyen de monoxyde de carbone, mais on utilisa bientôt le Zyklon B (un insecticide extrêmement toxique à base d’acide cyanhydrique). Jusqu’au démantèlement du camp, en mars 1944, environ 50 000 Juifs y furent gazés.

Auschwitz-Birkenau (en haute Silésie, partie polonaise annexée au Reich en 1939, au sud-est de Kattowitz): le camp d’extermination de Birkenau fut établi dans la seconde moitié de 1941. Il était associé au camp de concentration d’Auschwitz, qui existait depuis mais 1940 [Ce premier camp était désigné Auschwitz I et Birkenau Auschwitz II, N.d.T.]. A partir de janvier 1942 on entreprit la construction de cinq chambres à gaz, puis à la fin juin 1943 on construisit quatre grandes chambres à gaz supplémentaires. Jusqu’en novembre 1944, plus d’un million de Juifs et au moins 4000 Tziganes y furent assassinés par gazages [à l’acide cyanhydrique émis par le Zyklon B, N.d.T.]
 

Liste des camps de concentration où des chambres à gaz furent installées et utilisées:

Mauthausen (au nord de l’Autriche): à l’automne 1941 une chambre à gaz utilisant du Zyklon B fut opérationnelle. D’autre part, des gazages au monoxyde de carbone eurent lieu dans des camions à gaz qui étaient conduits entre Mauthausen et son camp annexe, Gusen. Au total, plus de 4000 personnes furent assassinées par gazages.

Neuengamme (au sud-est de Hambourg): à partir de l’automne 1942, des gazages avec du Zyklon B eurent lieu dans un «Bunker» spécialement aménagé. Ils firent environ 450 victimes.

Sachsenhausen (dans la province de Brandeburg, au nord de Berlin) a été doté à la mi-mars 1943 d’une chambre à gaz qui fonctionnait avec du Zyklon B. Plusieurs milliers de personnes y furent assassinées. Un chiffre plus précis ne peut être déterminé.

Natzweiler (à Struthof, en Alsace): une chambre à gaz y fut utilisée d’août 1943 à août 1944. Entre 120 et 200 personnes y furent assassinées avec du Zyklon B dans le but de disposer de leur squelette pour l’Institut anatomique de Strasbourg. Cet institut était alors dirigé par un Haumptsturmführer SS, le professeur August Hirt.

Stutthof (à l’est de Danzig) fut doté en juin 1944 d’une chambre à gaz dans laquelle plus de 1000 personnes furent assassinées avec du Zyklon B.

Ravensbrück (dans le Brandeburg, au nord de Berlin): c’est en janvier 1945 qu’une chambre à gaz y fut installée. Le nombre de personnes qui y furent assassinées s’élève à au moins 2300.

Dachau (au nord de la Bavière, au nord est de Munich): au moment de l’érection d’un nouveau crématoire en 1942, une chambre à gaz y fut également installée. Le docteur et Haumptsturmführer SS Rascher y entreprit des gazages expérimentaux en relation avec ses expériences médicales. Ceci est confirmé par les recherches les plus récentes (voir Gunther Kimmel, «Das Konzentrationslager Dachau. Eine Studie zu den nationalsozialistischen Gewaltverbrechen», in Martin Broszat et Elke Frœhlich (éditeurs), Bayern in der NS-Zeit, bd II, R. Oldenburg Press, Munich, 1979, p. 391). Aucune opération de gazage de plus grande envergure n’eut lieu à Dachau.

Les victimes des Einsatzgruppen de la Police de Sécurité [Sicherheitspolizei, N.d.T.] du SD à l’arrière du front russe furent en majorité des Juifs. Leur nombre est estimé au minimum à 900 000 victimes [de récentes recherches semblent démontrer que le nombre réel fut beaucoup plus élevé, notamment chez les Juifs d’Union soviétique. Voir Jeremy Noakes et Geoffrey Pridham, Nazism 1919-1945. A documentary reader, Exceter 1983-1988, p. 1208, cité par Tim Kirk, The Longman companion to Nazi Germany, Longman, 1995, p. 172. N.d.T.]

La différence entre le total des victimes par gazage citées dans la liste ci-dessus ajoutées au nombre de victimes des Einsatzgruppen et le nombre de total d’environ 6 millions de victimes des persécutions nazies contre les Juifs, provient du fait qu’un pourcentage élevé des victimes sont mortes des suites de mesures d’extermination indirectes comme «la destruction par le travail», les mauvais traitements, la faim, les épidémies et l’épuisement durant les transports, etc.

Environ 120 000 personnes ont été assassinées dans le cadre de l’opération nazie dite d’«Euthanasie»


 
Complément bibliographique à la version française:

On renverra pour toutes les questions abordées dans ce texte à l’ouvrage de Eugen Kogon, Herrmann Langbein, Adalbert Rückerl, Les chambres à gaz secret d’état, Seuil, Points Histoire, 1987 (en ligne).

L’ouvrage de Germaine Tillion, Ravensbrück, Seuil, 1988, contient des études détaillées des chambres à gaz de Ravensbrück, Mauthausen, Harteim, Dachau, et de la tentative de construction d’une chambre à gaz à Buchenwald (construction sabotée par les prisonniers, ce qui fait qu’il n’y eut pas de chambre à gaz à Buchenwald). Nous avons mis en ligne, l’étude de Anise Postel-Vinay, «Les exterminations par gaz à Ravensbrück» que complète le chapitre plus récent consacré au même sujet par l’historien Bernhard Strebel dans son ouvrage (Ravensbrück. Un complexe concentrationnaire, Paris: Fayard, 2005), «La chambre à gaz de Ravensbrück».

La Revue d’Histoire de la Shoah (alors intitulée «Le Monde Juif») a publié en 1986 une importante étude de Pierre Serge Choumoff en deux parties («Les assassinats par gaz à Mauthausen et Gusen, camps de concentration nazis en territoire autrichien», Le Monde Juif, 1986 n° 123 et 124). Elles sont en ligne: première partie et deuxième partie.

En 2011, est paru en Allemand, un recueil portant sur les avancées historiographiques relatives aux assassinats par gazage: Günter Morsch Bertrand Perz & Astrid Ley (éds.), Neue Studien zu nationalsozialistischen Massentötungen durch Giftgas: Historische Bedeutung, technische Entwicklung, revisionistische Leugnung, Berlin: Metropol-Verlag, 2011.

Sur le cas particulier de Dachau, l’étude la plus fouillée demeure celle menée par l’historien et ancien déporté à Dachau, Stanislav Zámečník, C’était ça Dachau: 1933-1945, Cherche Midi, 2003.

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